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ANALYSEScolsenet. — La vie inconsciente de l’esprit.

Il en est de même pour l’instinct. Ce n’est pas que pris en lui-même, l’acte instinctif doive être considéré comme inconscient ; mais ce qui est ignoré, c’est la fin en vue de laquelle l’acte est produit. Certains animaux accumulent des provisions auprès des œufs de leurs petits, qu’ils ne verront jamais ; et ils n’ont pas vu leurs parents. Il faut donc que l’idée ou la représentation de l’acte réside inconsciente dans l’animal. C’est elle qui se transmet par hérédité et qui explique la fixité de l’instinct.

Ainsi encore, le souvenir n’est ni un fait organique ni une simple disposition acquise de l’activité intellectuelle c’est un fait psychique inconscient. Il faut revenir à la vieille théorie qui considère la mémoire comme un magasin ; non pourtant que les idées demeurent inertes elles participent à la vie et au mouvement de l’esprit, et c’est pourquoi on les voit parfois reparaitre à l’improviste. Si l’on songe au nombre indéfini des cellules cérébrales, la conservation de ces innombrables idées dans les profondeurs de l’inconscient, avec les mouvements physiologiques qui sans doute les accompagnent, n’a, suivant M. Colsenet, rien d’invraisemblable.

Dira-t-on enfin qu’il y a des émotions inconscientes ? Cette question est plus difficile encore à résoudre que les précédentes, car le plaisir et la douleur étant de simples états, et ne déterminant directement aucun acte, il est impossible de remonter des effets visibles aux causes invisibles. Divers exemples permettent cependant une conclusion affirmative. Sous l’action du chloroforme ou d’autres anesthésiques, le patient accomplit presque toujours, au moment où on l’opère, des mouvements dont il ne semble avoir aucune conscience. Mais c’est surtout si l’on cherche les raisons cachées du plaisir et de la douleur, les circonstances qui rendent la sensibilité si inconstante, que l’inconscient paraît occuper une place considérable. Nul doute en effet que nos joies et nos peines ne dépendent en grande partie de l’idée à laquelle elles sont attachées et qui est souvent inconsciente. Chez les martyrs et les extatiques, la douleur n’est pas seulement refoulée, mais la cause même du mal devient une source de félicité, Les chairs sont déchirées, le sang coule, et l’idée du sacrifice accepté et offert remplit la conscience de béatitude. Ainsi encore, les penchants accompagnent les idées qui émergent à la conscience, bien que le plus souvent nous n’en connaissions que les effets : ils les suivent dans l’inconscient et peuvent reparaître avec elles ; ils leur sont attachés, comme la chaleur l’est au feu.

En résumé, conclut M. Colsenet, il se forme en nous des centres multiples, de petites individualités conscientes ; « les faits se groupent et s’intègrent d’abord en des consciences élémentaires et simples, puis se communiquent modifiés à d’autres consciences toujours plus élevées et plus complexes, s’y fondent en des synthèses nouvelles, et, à travers une série indéfinie de consciences intermédiaires, parviennent à la conscience du moi. Celle-ci ne saisit que les résultats apparents de ce