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était permis de traduire les faits énoncés dans ]a langue d’une philosophie psychologique, dont la réflexion du sujet sur lui-même fournit la base, nous dirions qu’il faut distinguer dans la volonté d’être, identique à l’être même, d’un côté la volonté d’être soi, l’affirmation de l’être au sens prochain individuel et fini, dont l’absorption des aliments serait la première manifestation la première forme et le premier symbole, de l’autre l’affirmation de l’être au sens général, le déploiement, l’expansion de soi-même, qui du besoin de reproduction s’élève à l’amour des enfants, de la tribu, de la nation, de l’humanité, et se traduit dans tous les actes de bienveillance et de dévouement. Nous constaterions sans doute ici que la nécessité de distinguer la raison de la nature est aussi manifeste que l’impossibilité de les séparer ; nous revendiquerions la liberté, dont l’absence rend tout confus, car, si la charité produit parfois la continence, nous voyons plus souvent, et sous des formes variées, la fougue du désir s’unir à la perfection de l’égoïsme, et l’amour vulgaire ne parait pas autre chose, à tout prendre, qu’une espèce de consommation.

Mais ce n’est pas là ce qui nous importe : louche ou limpide, en remontant au point de départ, l’observation, nous reconnaîtrons aisément que cette division des penchants n’est pas complète. Au nom de l’observation, au nom de l’histoire, sans nous croire tenu de reculer au delà de l’humanité, nous revendiquons la place d’une troisième tendance, d’une troisième direction de la volonté d’être, distincte des deux précédentes, inséparable des deux précédentes et non moins essentielle. À l’affirmation de soi dans le présent, dans la sensation, dans l’existence immédiate, à l’affirmation de soi dans un autre soi-même, dans l’espèce, dans le monde et dans l’avenir, nous demandons qu’on associe l’affirmation de soi-même dans son passé, dans sa source, dans son principe. Le respect filial, porté si loin dans l’antiquité, le culte des ancêtres, si ancien, si universel, si vivace, le respect de nos origines et de nos souvenirs, tout cela provient de la même source et s’exprime par le même nom, pietas Ce sont les premières manifestations affectives du besoin qui pousse l’intelligence à la recherche des causes. Ce penchant ne peut guère se satisfaire immédiatement que par des actes symboliques ; mais il se mêle à notre activité tout entière, il aspire à la dominer, et bientôt il y réussit. La religion n’a pu devenir un moyen de gouvernement que parce qu’elle est essentielle à notre nature. C’est un besoin de notre nature d’identifier là cause suprême et le suprême idéal où nous cherchons la règle de notre vie. Il est aisé de décrier une moralité dont la crainte des punitions et l’espoir des récompenses forment le mobile ; le sentiment religieux le plus intense