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montrer qu’il y a réellement une faculté capable de nous fournir des principes a priori, c’est-à-dire une raison. Kant se contente ici de renvoyer le lecteur à la Critique de la raison pure, où il croit avoir démontré l’existence de la raison pure en général, si bien qu’il n’aurait plus à démontrer maintenant qu’un seul point, à savoir que cette raison pure est pratique. Selon nous, cette méthode est trop expéditive. Kant a cependant entrevu lui-même la difficulté, car il dit dans sa préface « Ce qu’il pourrait arriver de plus fâcheux à ces sortes de recherches, ce serait que quelqu’un découvrît inopinément qu’il n’y a ni ne peut y avoir de connaissance à priori[1]. » En effet, la morale à priori serait alors coupée par la racine ; comme il n’y aurait plus de raison pure, il n’y aurait plus de raison pure pratique. Le problème valait certes la peine d’un nouvel examen. Kant se contente de résumer superficiellement la critique de la raison pure. « II n’y a pas ici le moindre danger, dit-il avec une confiance qui semble excessive. C’est comme si quelqu’un voulait démontrer par la raison qu’il n’y a pas de raison, » — Le cas n’est pas le même, répondrons-nous ; il est possible que la raison ait des principes logiques à priori dont on ne puisse démontrer logiquement la non-existence qu’en s’appuyant sur leur existence même ; mais il n’y a aucune contradiction à mettre en doute les prétendues connaissances ou prescriptions à priori de la raison morale, fussent-elles simplement formelles. Kant nous dit que « Hume lui-même n’a pas étendu l’empirisme au point d’y comprendre aussi les mathématiques ». Hume avait peut-être tort ; mais il ne s’agit pas ici de mathématiques, et, quand même il y aurait des principes mathématiques à priori, cela ne prouverait encore rien pour les principes moraux, le devoir, l’impératif catégorique, etc. Hume avait précisément mis en doute lui-même le caractère à priori de ces principes moraux, qu’il ramenait à une utilité et à un sentiment empiriques[2] ; au lieu de lui répondre par un examen approfondi de la raison au point de vue des idées morales et non plus logiques ou mathématiques, Kant se borne à déclarer que l’empirisme universel est un scepticisme universel, sans songer que le scepticisme moral est un système des plus sérieux, qui aurait mérité une réfutation en règle. Après quoi, Kant termine par ces paroles dédaigneuses, où perce quelque humeur : « Cependant, comme, dans ce siècle philosophique et critique, il est difficile de prendre un tel empirisme au sérieux, et qu’il n’a probablement d’autre but que d’exercer le jugement et de mieux

  1. Critique de la raison pratique, p. 143. — Trad. Barni.
  2. Essais de morale. trad. fr., Londres, 1704, tome I, 7, 8, 23, 23, 24, etc., t. V, p. 4.