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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

dans cette coordination, par suite de l’anesthésie de telle ou telle partie. On cesse de pouvoir se diriger quand on a les yeux bandés. Le désordre peut être dû aussi à ce que l’excitation met trop violemment en branle des muscles antagonistes, en vertu de son irradiation trop facile d’un groupe de cellules à un autre. La dépendance mutuelle des divers appareils musculaires se montre clairement dans quantité de phénomènes : l’éternument, la toux, le bégaiement, la contraction de la face quand on soulève un poids très lourd, etc.

Les sensations, fruits des contractions musculaires, se combinent, elles aussi, graduellement, et se condensent en perceptions et intuitions. Les mouvements se localisent et nous fournissent ainsi des perceptions motrices, c’est-à-dire que nous inférons que tel mouvement sera accompagné ou suivi de telle sensation. C’est ainsi que nous acquérons l’expérience des mouvements à faire pour un but déterminé. C’est ainsi que nous apprenons à prononcer les mots. La coordination peut être poussée très loin : les doigts du pianiste évoluent automatiquement sur le clavier à la seule inspection des notes. Il ne sait pas quels muscles il fait mouvoir pour exécuter son jeu ; il n’a pas connaissance des moyens, mais il connaît le but, à savoir l’audition d’un certain air.

C’est en ce sens seulement qu’on peut dire que nous voulons ce que nous sommes en état de faire. Des perceptions motrices, nous abstrayons certaines conceptions générales, telles que celles d’action, de dessein, de plan, de cause, etc., et la chose se fait d’une manière si insensible et si inévitable, que nous tenons ces conceptions pour innées tout comme nos intuitions de l’espace et du temps. Les images motrices, issues des sensations, engendrent des hallucinations motrices, si elles ont une intensité égale à celle des sensations. Ces hallucinations proviennent évidemment du centre, puisqu’elles subsistent même après l’amputation des membres qui en sont le siège apparent. Bref, tous les phénomènes reconnaissables dans la sphère des sensations se retrouvent dans celle des mouvements.

On soutiendra, avec une apparence de raison, que les idées diffèrent des images, par l’absence de l’élément moteur. Où est, par exemple, cet élément dans l’idée de l’infini ? Mais d’abord il n’y a pas d’idéation sans sensation. De plus, les idées ne sont au fond que des mots non prononcés[1]. Aussi peut-on, à certains égards, dire du langage que c’est un sens. Le nom est un signe au même titre que la

  1. Il serait plus exact de dire faiblement prononcés. Voir Le sommeil et les rêves, avril 1880, p. 423. Voir aussi le récent ouvrage de M. Stricker : Studien über die Sprachvorstellungen, Vienne, 1880.