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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

en branle tout l’organisme. L’appétit, la soif, le désir, la fatigue grandissent par petites quantités successives ; nous ne sommes pas d’abord avertis du changement qui se fait en nous, parce que nous nous y habituons, au fur et à mesure qu’il se fait ; le ressort se tend peu a peu à notre insu ; puis tout à coup on sent la tension, on s’aperçoit qu’on est éloigné notablement de l’état normal, on veut y revenir. et c’est brusquement que l’on y revient. C’est la rapidité même qui engendre le plaisir ; c’est la lenteur de la formation du besoin qui évite la peine. Si M. Edgeworth, qui a su, avec un tact si délicat, mettre sa science mathématique au service de ses études sur le plaisir, tournait ses méditations de ce côté, je ne doute pas qu’il ne trouvât la formule abstraite de l’accroissement et de la satisfaction du besoin. Ce n’est pas le lieu de m’étendre longuement sur ce sujet éminemment digne des réflexions des philosophes. Mais je me suis souvent demandé si la mort n’est pas, elle aussi, une jouissance suprême, d’autant plus vive que les souffrances des dernières heures auront été plus intenses. Qui n’a été frappé de l’expression de calme et de béatitude qui, après la mort, vient souvent s’asseoir sur des visages contractés un instant auparavant par les plus vives douleurs ? À défaut de la vie dans un autre monde, on peut se plaire à croire que les malheureuses victimes de la superstition et de l’intolérance ont trouvé dans la mort la compensation de toutes leurs misères.

Mais ceci est une digression je reviens à Lewes. Le chapitre qui précède avait pour sujet ce que, dans la psychologie ordinaire, on nomme la faculté de sentir. Les deux chapitres suivants, malheureusement écourtés, s’occupent de la faculté de connaître et de la faculté de vouloir.

L’intelligence est classée dans le sentir, pour ne pas rompre l’unité des phénomènes psychiques. La sensibilité, l’intelligence, la volition, sont trois modes de manifestations de l’organisme sensible dans , chacun desquels est impliqué le triple procès de l’excitation, du groupement, du mouvement. L’intelligence est une abstraction et non une fonction séparée ayant son organe spécial. Vue du côté physiologique, c’est la somme des ajustements nerveux déterminant les ajustements secondaires, d’où dépendent les actions organiques. Vue du côté psychologique, c’est la somme des expériences organisées qui déterminent la conduite. Connaître un objet, c’est se rappeler les expériences que nous ou les autres avons laites de cet objet dans différentes conditions. Malgré tout son esprit, Aristote ne se fût pas défié de la poudre. Le plus bas degré de l’intelligence est le discernement des moyens présents pour une fin immédiate : le plus haut