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nous trouvons directement l’arbre de Brahma dans le chêne ailé[1] sur lequel le Zeus de Phérécyde déploie le ciel, la terre et l’Océan[2]. Cette conception, qui n’est plus attestée directement que par une ligne échappée par hasard au naufrage de cette vieille cosmologie, a laissé pourtant dans la philosophie grecque un écho permanent c’est ce mot qui joue un si grand rôle dans sa métaphysique, ὕλη, « le bois, la forêt », et qui, avant de devenir la pâle et insaississable matière des métaphysiciens, fut d’abord le chêne dont Zeus a fait le monde, l’arbre dans lequel les dieux védiques ont taillé le ciel et la terre[3], l’arbre de Brahma, l’arbre flottant dans les airs, l’ « arbre des tempêtes » de la Germanie[4].

§ 19. Ainsi, tous les éléments que nous avons distingués dans les cosmologies indiennes se retrouvent dans les cosmologies grecques : le monde, en Grèce comme en Inde, naît des eaux, des ténèbres, de la lumière, de l’œuf, de l’amour, de la lutte, de l’arbre, et ces sept principes nous ramènent à une même conception mythique : le monde est né des mêmes éléments dont il renaît dans la nuée d’orage. Cinq de ces éléments sortent directement d’images naturalistes : les eaux, les ténèbres, la lumière sont les eaux de la nuée, les ténèbres de la nuée, la lumière de la nuée, et l’œuf et l’arbre sont deux de ses formes : la sixième, l’amour, sort d’une image anthropomorphique, le dieu lumineux caché dans la nuée étant conçu comme dieu amant, parce qu’il arrache la déesse-lumière aux serres du démon ;

  1. Ailé, parce qu’il court dans le ciel. Les Indous racontent de même que les montagnes volaient d’abord dans le ciel : c’est Indra qui les fixa. Toutes les nuées sont des Symplégades.
  2. μάθωσι τί ἐστιν ἡ ὑπόπτερος δρῦς ἢ τὸ ἐπ' αὐτῇ πεποικιλμένον φᾶσος, πάντα ὅσα Φερεκύδης ἀλληγορήσας ἐθεολόγησε (Clément d’Alexandrie, Stromates, 642, A). L’exactitude de ἀλληγορήσας, d’après tout ce qu’on sait de Phérécyde, est plus que douteuse. — Ce tissu (φᾶρος) est le tissu du monde ; voir § 40.
  3. Voir plus haut, § 10, note.
  4. Voir plus bas, § 27. — Comparer les nombreuses formules christianisées, latine, bretonne, provençale, anglaise, galloise, serbe et bulgare, récemment rassemblées par M. Kœhler (Revue Celtique, IV, 447), et qui, cherchant le support du monde, arrivent comme dernier terme à un chêne planté au début et dans des temps par Jésus-Christ, quelques formules identiques à Jésus même. Voici la formule latine :

    Quid sustinet cœlum ? Terra.
    Quid sustinet terram ? Aqua.
    Quid sustinet aquam ? Petra.
    Quid sustinet petram ? Quatuor animalia.
    Quœ sunt illa quatour animalia ? Lucas, Marcus, Matheus, Johannes.
    Quid sustinet illa quator animalia ? Ignis.
    Quid sustinet ignem ? Abyssus.
    Quid sustinet abyssum ? Arbor, quœ ab initio posita est, ipse est Dominus Jesus Christus.