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de leur côté, toute une série d’êtres lumineux et bons, ténébreux et méchants, et la lutte de ces deux principes, de ces deux êtres, de ces deux mondes, constitue l’histoire de l’univers. Comme toute l’activité créatrice est reportée à ce dieu des dieux et à ce démon des démons, il n’y a pas à parler d’une cosmogonie à la façon grecque et indoue, toutes choses venant d’eux et non d’ailleurs. Mais, à l’arrière-plan, les vieilles conceptions cosmologiques subsistent, et, mal fondues dans la nouvelle qu’eues troublent, n’en attestent que mieux leur puissance et leur antiquité. Ce sont principalement les sectes qui en ont conservé le souvenir.

§ 21. La secte des Zervanites, qui ramène le dualisme à l’unité en faisant sortir et Ormazd et Ahriman d’un être antérieur, Zervan, le Temps sans bornes, enseigne que Zervan, voulant avoir un fils, Ormazd, qui créât le ciel et la terre, commença par créer l’eau et le feu, du mélange desquels naquit Ormazd[1]. Nous voici de nouveau de plain-pied sur le terrain des mythes indo-grecs. Cette eau, mêlée au feu pour produire le dieu de la Lumière, nous reporte à la nuée sillonnée de l’éclair, d’où doit sortir la lumière du jour, à l’onde indistincte des Védas.

Ce débris de cosmologie diffère des formes correspondantes de l’Inde et de la Grèce par la présence du feu, qui là-bas sort de l’eau, qui ici y réside et partage avec elle le rôle de premier principe.

§ 21 bis. Rien de plus légitime que cette union, dans les fonctions cosmogoniques, de l’eau et du feu, puisque c’est de leur union dans la nuée que le monde sort. Le feu qui fait paraître l’univers en brisant la nuée pouvait, on le conçoit, arriver à usurper pour lui-même le premier rang et devenir le principe suprême. Les formules védiques sur l’Embryon d’or, Agni, première créature qui doit créer le monde[2], les formules orphiques sur Phanès[3], semblent sur la voie d’un pareil système, — sans y aboutir, parce qu’elles se souviennent que l’Embryon d’or et Phanès sortent des eaux, et qu’il y a quelque chose qui leur est antérieur. Hippon le sait encore, mais déjà le feu usurpe : quoique postérieur à l’eau dont il est né, comme un Apâm Napât védique[4], il lutte contre elle, et de sa victoire naît le monde[5]. Avec Héraclite, le vainqueur devient principe universel et premier ;

  1. Sur les Zervanites, voir Ormazd et Ahriman, §§ 244-256.
  2. Voir § 7.
  3. Voir § 15.
  4. Voir page 453. note 1.
  5. Voir § 17.