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lables que dans la mesure où leurs conséquences se trouvaient conformes aux faits. Mais, malgré l’exemple de ce sage esprit et malgré les revendications éloquentes de Bacon, les droits de l’expérience furent méconnus et la méthode à priori altéra l’œuvre de Descartes et de ses successeurs. Cette prévalence du rationalisme provient en partie du fait que les deux plus grands maîtres de la science, au xviie siècle, Descartes et Leibnitz, étaient des génies spécialement mathématiques. Ils crurent qu’on pouvait établir la science de la nature par les procédés déductifs qu’ils avaient mis en usage dans la géométrie analytique et le calcul différentiel. Vint la réaction en faveur de l’empirisme qui caractérise le xviiie siècle. Le rationalisme s’est relevé ensuite en Allemagne, dans la philosophie de la nature, et il a atteint son apogée dans les travaux de Hegel, qui a voulu construire à priori les lois de la physique et les combinaisons de la chimie, en même temps que l’histoire de l’humanité. La destinée de ces constructions altières a réalisé le proverbe que l’orgueil marche devant l’écrasement. Une nouvelle réaction s’est produite en faveur de l’empirisme et a atteint son apogée dans le positivisme, qui interdit à la pensée toute démarche allant au delà de la simple coordination des faits. Le positivisme n’accorde aucune valeur aux tendances de la raison qui désire expliquer les faits et non pas seulement les coordonner. La raison a tiré vengeance de ces dédains par le retour de l’esprit systématique se produisant sous le couvert de la méthode expérimentale. Il y a comme une sorte d’ironie dans les synthèses hardies et prématurées auxquelles se livrent bien des esprits contemporains, tout en professant les théories de l’empirisme.

Après les oscillations violentes qui viennent d’être rappelées, et qui ont fait passer les théoriciens de la méthode du rationalisme absolu à l’empirisme pur, et de l’empirisme pur au rationalisme absolu, le temps est venu de tirer de l’histoire de la science les leçons qu’elle renferme.

Pour s’orienter dans la question de la méthode, il est nécessaire de distinguer les principes directeurs de la pensée, principes qui ont un caractère simplement formel, et les affirmations à priori qui ont un contenu substantiel dont on peut déduire des éléments de système. « Le ciel est parfait, donc le soleil n’a pas de taches. » Cette affirmation, opposée par les disciples d’Aristote aux fondateurs de l’astronomie moderne, est un exemple de ces principes substantiels dont on tire des conséquences systématiques. En faire usage, c’est employer la méthode de construction que la science a dû répudier. « Le monde est intelligible ; les lois de la nature sont simples et