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d’avoir recherché ensuite les conditions particulières de chacune, M. Mac Cosh en vient à placer sur le même rang, parmi les appétences primitives, des penchants tout à fait dissemblables, les uns indispensables à la vie de l’individu comme l’amour du plaisir et la crainte de la douleur, les autres naturels encore, mais d’apparition tardive, comme l’amour du pouvoir, le sentiment esthétique et le sentiment moral. Puisque, de l’aveu de tous, la sensibilité est inséparable de la vie végétative et animale, et plonge dans les profondeurs de l’organisme par toutes ses racines, c’est donc, en raison de l’inconscience de ses manifestations et de ses conditions élémentaires, du point de vue objectif et externe qu’il est nécessaire d’envisager, d’analyser et de classer les tendances primitives de tout être organisé, y compris l’homme. « Les psychologues, dit judicieusement Maudsley, n’ont pas réussi à analyser les émotions, comme ils ont analysé quelques-unes de nos idées intellectuelles simples ; ils n’ont pas encore décomposé nos émotions en leurs éléments, comme ils ont décomposé nos idées de forme, de grandeur, de position et de distance. Ils peuvent étudier séparément la part que prend chaque sens à la construction d’une idée, mais ils ne peuvent pas isoler l’action de chacun des organes internes, ni par conséquent évaluer son rôle particulier dans la production d’une émotion. L’ancienne méthode psychologique est dans ce cas tout à fait impuissante ; car la conscience individuelle ne peut en aucune façon l’aider à découvrir le lien qui relie l’état émotionnel aux organes internes : la meilleure méthode ici consiste à observer patiemment et soigneusement les symptômes psychiques qui accompagnent les maladies des différents organes, et l’influence de leurs troubles sur les rêves. »

En dehors des questions encore controversées c’est une autre vérité, aujourd’hui démontrée par le progrès des sciences naturelles, de l’ethnographie, de la sociologie, que l’homme est l’héritier des acquisitions du passé. L’école évolutionniste, Darwin et Spencer en tête, a fait voir avec une rare finesse d’analyse psychologique et une étonnante surabondance de preuves comment les instincts les plus relevés ont vraisemblablement été prédéterminés, provoqués, favorisés par les circonstances externes, les conditions vitales de l’individu ou de l’espèce, la sélection, la tendance à l’imitation, l’habitude, la transmission héréditaire. La psychologie n’a conséquemment plus le droit de négliger une théorie des émotions et des instincts aussi fortement appuyée. M. Mac Cosh a le tort, selon nous, de ne point utiliser de pareils documents, de reléguer à l’écart le facteur essentiel de toute faculté humaine, l’évolution héréditaire. « Je désire, nous dit-il, qu’il soit bien entendu que dans ce traité je n’entreprends point de rechercher l’origine des impulsions sensitives dans le passé ou parmi les espèces inférieures. Je me contente d’en donner un exposé approximativement exact, en considérant comment ces tendances agissent aujourd’hui au sein de l’âme humaine. » C’est contre cette séparation artificielle de l’analyse des faits et de leur explication qu’a voulu précisément réagir la science psychologique