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Seulement la dominante de ces états varie c’est tantôt l’idée, tantôt le sentiment. Dans le premier cas, le cours des émotions est lié au groupement des idées elles-mêmes et dépend des lois bien connues de l’association. L’autre cas est celui où tout est réglé par le caractère individuel, les dispositions inconscientes de l’esprit et du corps, les goûts personnels, l’énergie de sensibilité, d’intelligence ou de volonté, propre au sujet. S’il est naturel que l’idée réveille l’émotion, il ne l’est pas moins que le « ton émotionnel » de la personne détermine à son tour la forme des idées, leur apparition à un moment donné, et leur reproduction habituelle ou fréquente. D’où il faudrait peut-être tirer cette conclusion que, loin d’expliquer les associations de sentiments par les associations d’idées le psychologue devait en fin de compte subordonner et ramener celles-ci à celles-là ; que notre manière empirique de penser n’est encore à son plus haut degré qu’une manière de sentir et d’être affecté par les choses conformément à l’état de notre organisation psychique et physiologique. Le secret de nos associations mentales se découvrirait au fond des dispositions natives ou acquises de l’individu : l’agent invisible serait le caractère moral, plus ou moins modifié par l’ensemble fortuit des circonstances. « Les lois primaires de l’association, dit très bien Mac Cosh, sont celles qui règlent la succession de nos pensées en tout temps ; aucune pensée ne peut surgir spontanément sans s’y conformer. Mais, à un moment donné de notre vie il y a une demi-douzaine, une vingtaine, une centaine d’objets si étroitement liés à l’idée présente que tous pourraient également bien reparaître et s’accommoder à ces lois primaires. En traversant le British Museum ou la galerie de peinture de Dresde il se peut que j’aie remarqué au moment même des centaines d’objets : l’un d’entre eux pourra se représenter accidentellement à mon esprit, mais il y en a bien peu qui se retrouvent à leur place et dans leur ordre véritable ; peut-être un seul avec d’autres à la suite. Pourquoi celui-là et les autres se montrent-ils sur le front du groupe, tandis que le reste demeure à l’arrière-plan ? Cette question nous amène à reconnaître des lois secondaires, lois modificatrices des premières, que Hamilton appelait lois de préférence, expression satisfaisante, pourvu qu’on n’entende point par là aucun choix ni exercice de la volonté, les lois secondaires opérant d’une façon aussi étrangère à la volonté que les lois primaires. »

La psychologie de l’avenir aura pour tâche de poursuivre dans cette voie l’explication profonde des lois communément admises de l’association. Ces lois ne sont que l’apparence empirique des faits internes, tels qu’ils se présentent à la conscience du sujet. En dehors de la scène visible, dans les coulisses, les modes de groupement de nos idées ne seraient qu’un cas particulier et connu des lois plus générales et peu connues des associations émotionnelles, celles-ci se rattachant en dernier lieu aux aptitudes assimilatrices psychophysiologiques de l’individu.

A. Debon.