Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/582

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
578
revue philosophique

d’abord ses doigts sur les surfaces, qu’il suit dans toutes les directions, jusqu’à ce qu’il soit arrivé aux contours qui les définissent. Dans des expériences antérieures, il a pu reconnaître ce qui distingue une surface plane d’une surface convexe ou concave, une surface polie d’une surface rugueuse, un angle droit d’un angle aigu, un carré d’un cercle, etc. Il a, comme nous tous, dans l’esprit, dans la mémoire spécialement, une classification toute faite des objets qu’il connaît, et il cherche dans quelle case, pour ainsi dire, il peut ranger le nouveau venu, d’après ses caractères distinctifs. Quand il a à peu près déterminé la forme du corps qui lui est soumis, il le tâte, le presse en tous sens, de façon à reconnaître, aux différentes variations de la résistance qu’il éprouve, la nature molle ou dure de la substance en question. Je ne parle pas ici de la température, de la saveur, de l’odeur, bien que ces diverses sensations concourent à former la perception dans l’imagination de l’aveugle, comme elles le feraient pour le clairvoyant. En analysant ce qui se passe dans les circonstances que nous venons de décrire, nous voyons que le sens du toucher est essentiellement le sens de la résistance. Un corps extérieur ne se révèle à nous que par la résistance qu’il oppose au mouvement de notre main ; cette résistance est égale et contraire à la force que nous déployons pour la vaincre, et dont nous avons nettement conscience. Si notre main restait immobile, nous n’aurions que la perception très vague de l’existence de l’objet qui vient ici nous limiter. Mais nous faisons exactement ici comme l’insecte qui, arrêté dans son vol par un carreau de vitre, le parcourt dans toutes les directions avec l’espoir de rencontrer un point où la résistance cessera. Par le mouvement de notre main, de nos doigts, nous acquérons la notion d’une résistance extérieure variable ou même nulle, qui nous conduit à la perception, à l’idée, à l’image du corps dont il s’agit. Parmi les évolutions que nous faisons ainsi, les unes sont faciles ou plutôt simples, en ce sens qu’elles n’exigent qu’un mouvement d’une seule nature. Si, par exemple, c’est une table carrée que nous avons devant nous, le mouvement reste le même tant que nous suivons l’une des arêtes. Arrivés à l’extrémité, la résistance change de direction c’est un autre groupe de muscles que nous mettons en œuvre. Si la table est ronde ou ovale, la direction change à chaque instant, mais d’une façon régulière et à peine sensible, quoique appréciable. Grâce aux notions antérieurement acquises, l’aveugle n’a pas besoin de parcourir, point par point, en quelque sorte, les contours de l’objet qu’il explore. Deux ou trois contacts suffisent pour lui apprendre qu’il a affaire à une ligne droite, à un cercle, à un angle, etc. La portion de son doigt ou de sa main qui appuie sur