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g. guéroult. — du rôle du mouvement

Par suite, de deux édifices cubant le même volume, le plus haut paraîtra plus grand que l’autre, ce qui, toutes choses égales d’ailleurs, explique le caractère plus accentué de l’impression artistique éprouvée.

Des considérations du même ordre permettent d’expliquer la valeur esthétique de la symétrie et des proportions consacrées. Quand la façade d’un édifice est symétrique par rapport à un axe, les mouvements que nos yeux doivent exécuter pour nous fournir les matériaux de nos perceptions se trouvent diminués de moitié ; la parité des deux demi-façades, une fois constatée d’un coup d’œil, il suffit d’en explorer une seule. Si au contraire l’édifice est dyssymétrique, il est nécessaire de promener le regard sur toute l’étendue de la surface exposée aux yeux. De même, toute irrégularité dans la hauteur des colonnes, dans la disposition horizontale des fenêtres, réclame un mouvement spécial du regard qui équivaut à un choc, et se traduit à la longue par une fatigue. Or la fatigue éveille toujours en nous l’idée d’une force insuffisante, impuissante à remplir sa destination.

Parmi les types connus de monuments, le temple grec est certainement celui dont le parcours oculaire est le plus simple. Pour l’église de la Madeleine, pour la Bourse, comme pour la Maison Carrée, quand le regard a exploré un entrecolonnement, et l’angle du fronton, il peut s’arrêter, car l’esprit a tous les éléments nécessaires à la perception générale de l’édifice. Dans l’architecture de la Grèce antique, cette simplicité de la conception, et l’harmonie des proportions qui rend les mouvements oculaires plus aisés, exercent un grand charme, principalement sur les spectateurs un peu novices. Pour des yeux plus familiarisés avec la contemplation des formes, cette élégance de l’art grec apparaît comme un peu pauvre, et l’architecture ogivale du xie au xiiie siècle, plus compliquée, mais plus intéressante, plus vivante, avec ses flèches élancées, cette infinie variété d’aspects où l’élément vertical domine, reprend une supériorité, suivant nous, incontestable. Entre la cathédrale de Strasbourg, de Cologne, de Reims ou même de Paris, et le Parthénon lui-même, il y a la même différence qu’entre une symphonie de Beethoven et une mélodie de Martini ou de Pergolèse.

De même, comparez la fameuse colonnade du Louvre à la cour intérieure de ce beau monument, ou à la façade qui regarde le quai. La colonnade n’offre qu’un seul motif, d’une majestueuse simplicité, qui se répète sans modification aucune ; dans la cour, au contraire, la symétrie plus savante, plus variée, attire et intéresse davantage le regard. L’œil est obligé d’exécuter des mouvements plus étendus,