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a. fouillée. — critique de la morale kantienne.

mier principe n’est plus représenté que comme possible ; si l’entendement en a conscience comme de quelque chose donné dans l’intuition, le premier principe devient réel ; mais l’entendement ne conçoit plus rien touchant sa possibilité. » C’est pour cela que le concept d’un être absolument nécessaire, idée d’ailleurs indispensable à la raison, demeure « un concept problématique et inaccessible à l’entendement humain. » Ce concept, dit Kant, « a une valeur pour l’usage de nos facultés de connaître, considérées dans leur nature particulière ; il n’en a point relativement à l’objet et pour tout être connaissant : car je ne puis supposer que la pensée et l’intuition sont, en tout être connaissant, deux conditions distinctes de l’exercice de ses facultés de connaître. » Les jugements qui concernent l’absolu « ne peuvent donc être des principes constitutifs, qui déterminent l’objet tel qu’il est ; mais ils restent des principes régulateurs, immanents et sûrs dans l’usage qu’on en fait, et propres aux besoins de notre esprit. » Les mêmes observations s’appliquent à l’idée de la finalité. Notre entendement est fait de telle sorte « qu’il doit aller du général au particulier » ; il en résulte que le particulier, quand l’entendement le saisit dans la nature, sans voir son rapport déterminé avec les lois générales et mécaniques du monde, « lui offre quelque chose de contingent. » Pour le relier au général, l’entendement suppose alors dans la nature « une conformité à des lois » préconçues par une intelligence, c’est-à-dire une finalité. La finalité sert ainsi à expliquer comment ce qui nous apparaissait d’abord comme simplement possible parmi tous les autres possibles, se trouve amené à la réalité. Mais, si notre entendement était intuitif, le mécanisme et la finalité ne se distingueraient plus. « Le principe de finalité, conclut Kant, est donc un principe subjectif de la raison pour le jugement, et ce principe, en tant que régulateur (et non en tant que constitutif, est aussi nécessaire à notre jugement humain que si c’était un principe objectif[1]. »

Ces remarques profondes de Kant sur l’être nécessaire et sur la finalité sont importantes pour nous faire comprendre, par analogie, la conception du devoir et de son objectivité. « De même que la raison, dit-il, dans la contemplation théorique de la nature, doit admettre l’idée de la nécessité inconditionnelle d’un premier principe, ainsi, au point de vue pratique, elle présuppose en elle-même une causalité inconditionnelle relativement à la nature, c’est-à-dire la liberté, par cela même qu’elle a conscience de sa loi morale. » Cette présupposition d’un pouvoir inconditionnel résulte, comme la

  1. P. 85.