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E. NAVILLE. — CONSÉQUENCES DE LA PHYSIQUE

testée dans les doctrines de l’empirisme anglais, doctrines dont j’emprunte le résumé au travail de M. Ribot[1].

La thèse fondamentale de cette école est celle de Condillac : « Le seul fait psychologique primitif et irréductible est la sensation. » Vient ensuite une autre thèse : « L’expérience fondamentale, irréductible, qui donne la notion de l’extériorité, c’est la résistance. » Comment ces deux thèses peuvent-elles être conciliées ? En affirmant qu’il existe « des sensations musculaires qui nous informent de la nature et du degré d’effort de nos muscles ». M. Ribot observe avec raison que ces sensations-là « forment comme un genre à part », tant elles se distinguent des autres. Pourquoi cela ? Si un muscle malade cause une douleur, c’est une sensation analogue à toutes celles qui résultent de l’état des organes. Si mes muscles sont mus par un antécédent purement physiologique, j’aurai conscience du mouvement dont je ne m’attribuerai pas l’origine, qui pourra même subsister contre ma volonté, comme il arrive dans un état convulsif conscient. La sensation musculaire se distingue de toutes les autres lorsqu’elle résulte d’un acte volontaire. Le cas alors est différent ; il y a un genre à part ; mais ce n’est pas un genre de sensations, ou du moins il intervient dans le phénomène un élément irréductible aux modes purs de la sensibilité : l’effort. Quel est le sujet de l’effort ? Dire que nos muscles font effort et que la sensation nous informe de l’effort de nos muscles, c’est confondre deux idées dont l’origine est absolument différente. Nous pouvons avoir conscience par l’intermédiaire de la sensation du travail de nos muscles, soit que ce travail résulte d’un antécédent purement physiologique, soit qu’il résulte d’un acte de volonté. Mais c’est dans ce second cas seulement qu’il y a effort. Le travail est une notion objective qui s’applique légitimement aux muscles, mais il n’en est pas de même de la notion subjective de l’effort. C’est le sujet, le moi, qui a conscience de son effort auquel les muscles cèdent en résistant. Cette résistance est accompagnée d’une sensation ; mais, dans les modes actifs de l’existence, la conscience de l’effort est primitive, la sensation est subséquente, tandis que dans les modes passifs c’est la sensation qui est primitive et l’effort subséquent, lorsqu’il y a réaction. La volonté est donc bien le point de départ du phénomène qui nous donne « la notion de l’extériorité ». Sans l’exercice de la volonté, nous n’aurions ni l’idée du corps propre ni l’idée des corps étrangers.

Le pouvoir moteur révèle à l’esprit les qualités essentielles de la

  1. La psychologie anglaise contemporaine, par Th. Ribot, 2e édition. Paris, Germer Baillière, 1875. Voir spécialement les pages 423 à 425.