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REVUE PHILOSOPHIQUE

l’arithmétique et de la géométrie, il resterait encore manifeste que les propositions et les théorèmes s’établissent par les seules lois de la pensée, sans recours à l’expérience. Il est donc permis d’affirmer que l’emploi toujours plus grand des mathématiques dans l’explication des phénomènes physiques met toujours plus en lumière le rôle de l’intelligence dans notre savoir.

En résumé : pas de connaissance des qualités essentielles de la matière sans l’exercice de la volonté ; pas de connaissance des qualités secondes ou accidentelles de la matière sans la présence de la sensibilité ; pas de science de la matière sans l’intelligence. Il suffit donc d’observer les conditions de la science des corps pour obtenir la notion de l’esprit dans ses trois fonctions : agir, sentir et penser.

La physique établit la distinction des faits et de la pensée ; elle manifeste aussi leur harmonie, qui seule rend le monde intelligible.

Dans l’ordre physique, les faits sont des mouvements perçus directement par les fonctions du toucher et de la vue, et perçus médiatement, comme causes des sensations, par les impressions que les mouvements produisent sur nous. La pensée, qui se manifeste dans toutes les sciences par ses éléments logiques, se manifeste spécialement en physique par ses éléments mathématiques. Les faits et la pensée forment deux ordres distincts et irréductibles. Si les faits sont bien observés, si les véritables lois des phénomènes sont découvertes, et si enfin les calculs effectués sont justes, il y a accord entre les faits et la pensée. Le mouvement des astres dans le ciel, les mouvements des molécules dans les corps, les ondulations de l’éther se trouvent conformes aux calculs du savant. Il résulte de cette considération que la physique mathématique renferme la réfutation du scepticisme, ou du moins du scepticisme général et complet. Quelle est, en effet, la source principale du scepticisme ? La voici : L’existence de la pensée est absolument certaine ; on ne peut nier la pensée qu’en l’exerçant, c’est-à-dire en tombant dans une contradiction manifeste. C’est là la partie irréfutable du cogito ergo sum de Descartes. On peut nier la légitimité du passage du fait de la pensée à l’affirmation de la réalité substantielle et durable exprimée par je suis ; mais il est impossible de contester la certitude de la pensée et de son inhérence à un sujet au moins phénoménal exprimé parle pronom personnel. Je pense : voilà une certitude absolue pour celui qui prononce ces mots ; mais c’est la seule connaissance dont le caractère soit immédiat. Condillac commence son Essai sur l’origine des connaissances humaines par ces mots : « Soit que