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REVUE PHILOSOPHIQUE

Déjà[1] nous avons aperçu le premier signe de cohésion sociale dans l’union de petites hordes d’hommes primitifs en vue de lutter contre des ennemis. Soumis au même danger et unis pour y faire face, ils contractent une union plus intime dans le cours de leur coopération contre ce danger. Aux premières époques, cette relation de cause et d’effet se voit clairement lorsque l’union formée pendant une guerre disparaît dès que la guerre est finie : alors la faible ébauche de subordination politique qui commençait à se montrer s’efface et se perd. Mais les exemples les plus complets de cette intégration se trouvent dans celle qui unit des groupes simples en groupes composés dans le cours de la résistance et des attaques opposées en commun aux ennemis. On peut fortifier les preuves déjà données par de nouvelles. Chez les Karens, dit Mason, « chaque village, formant une société indépendante, a toujours un vieux compte à régler avec presque tous les autres villages de sa race. Mais le danger commun que leur font courir des ennemis plus puissants, ou le besoin de tirer vengeance de quelque injure commune, a souvent amené plusieurs villages à s’unir pour la défense ou pour l’attaque. » Suivant Kolben, « de chétives nations de Hottentots, voisines d’une nation puissante, forment fréquemment des alliances offensives et défensives contre la nation la plus forte. » Chez les naturels de la Nouvelle-Calédonie, dans l’île Tanna, « six ou huit villages, ou plus encore, s’unissent et forment ce qu’on peut appeler un district, un comté, et ils se liguent entre eux en vue de se protéger mutuellement… En temps de guerre, deux ou un plus grand nombre de ces villages se coalisent. » À Samoa, « des villages au nombre de huit ou dix s’unissent par un consentement commun et forment un district ou un État en vue de se protéger mutuellement. » En temps de guerre, ces districts s’unissent quelquefois par deux et par trois. Il en était de même chez les peuples historiques. Ce fut durant les guerres du temps de David que les Israélites passèrent de l’état de tribus séparées à celui d’une nation consolidée dominatrice. Les sociétés grecques éparses, déjà agrégées en petites confédérations à la suite de guerres de peu d’importance, se trouvèrent disposées à s’unir en un congrès panhellénique et à la coopération qui en devait être la conséquence, au moment où elles se sentirent menacées de l’invasion de Xerxès. Deux confédérations se formèrent ensuite, celle de Sparte et celle d’Athènes, et cette dernière prit possession de l’hégémonie et finalement de l’empire, dans la suite des opérations militaires contre les Perses. Il en fut de même chez

  1. Principes de sociologie, p. 250.