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H. SPENCER. — DE L’INTÉGRATION POLITIQUE

moindre de ces unités à changer de place à l’intérieur du groupe. Les membres de la société deviennent moins libres de se mouvoir au-dedans de la société, comme aussi de la quitter. Naturellement, le passage de l’état nomade à l’état sédentaire implique en partie cette inaptitude, puisque chaque personne se trouve toujours plus étroitement liée par ses intérêts matériels. L’esclavage produit aussi cet attachement d’individus à des membres de la société fixés en un lieu et par suite à certaines parties du sol : le servage a produit le même effet avec quelques différences. Mais dans les sociétés devenues très intégrées, ce ne sont pas seulement les individus retenus en esclavage qui sont attachés à un certain lieu, les autres le sont aussi. Les anciens Mexicains, au dire de Zurita, « ne changeaient jamais de village ni même de quartier. Cette coutume imposait son autorité comme l’eût pu faire une loi. » Dans l’ancien Pérou, « il n’était permis à personne de s’éloigner d’une province ou d’un village pour aller dans un autre ; » et « quiconque voyageait sans un juste motif était puni comme vagabond. » Ailleurs, avec le développement du type militant qui accompagne l’agrégation, des restrictions au déplacement se sont imposées sous d’autres formes. Dans l’ancienne Égypte, il y avait un système d’enregistrement, et tous les citoyens devaient à des époques fixes se présenter aux autorités locales. « Au Japon, tout le monde est enregistré, et nul ne peut changer sa résidence sans que le nanushi, ou chef du temple, lui donne un certificat. » Enfin, dans les pays de l’Europe où subsiste un gouvernement despotique, on observe l’usage des passeports plus ou moins rigoureusement, ce qui empêche les citoyens de se déplacer, et dans certains cas de quitter le pays.

À ce point de vue, comme à d’autres, les freins que l’agrégat social impose à ses unités se relâchent à mesure que le régime industriel fait reculer le régime militaire : en partie parce que les sociétés marquées par l’industrialisme sont très populeuses et possèdent des membres en excès pour remplir la place de ceux qui les quittent, et en partie parce que, l’oppression caractéristique du régime militaire n’existant pas sous le régime industriel, les intérêts pécuniaires, les liens de famille et l’amour du pays produisent une cohésion suffisante.

Ainsi, pour ne rien dire en ce moment de l’évolution politique, qui se révèle par l’accroissement de la structure, et pour nous borner à l’évolution politique révélée par l’accroissement de la masse, que nous désignons sous le nom d’intégration politique, nous y reconnaissons les traits suivants.