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H. SPENCER. — DE L’INTÉGRATION POLITIQUE

la dissemblance est grande, la société, maintenue uniquement par la force, tend à se désintégrer dès que la force fait défaut.

La ressemblance des unités qui forment un groupe social est, comme nous l’avons vu, une condition de leur intégration ; une autre condition est la réaction combinée de ces unités contre l’action interne : la coopération dans la guerre est la cause active de l’intégration sociale. Les unions temporaires des sauvages pour l’offensive et la défensive nous en font voir la première étape. Quand plusieurs tribus s’unissent contre un ennemi commun, à force de continuer à agir en commun, elles finissent par former un agrégat cohérent sous une autorité commune. Il en est de même plus tard pour les agrégats encore plus grands.

Le progrès dans l’intégration sociale est à la fois une cause et une conséquence de la diminution toujours plus grande de l’aptitude des unités à se séparer. Les hordes nomades primitives n’exercent pas sur leurs membres une contrainte capable de les empêcher individuellement de quitter une horde et d’en rejoindre une autre à volonté. Lorsque les tribus sont plus développées, il est moins aisé pour un individu d’en déserter une et de se faire admettre dans une autre ; la combinaison sociale des groupes n’est plus assez lâche. Enfin, durant les longues périodes pendant lesquelles les sociétés sont agrandies et consolidées par le régime militaire, la mobilité des unités subit des restrictions toujours plus grandes. Ce n’est qu’après que la coopération volontaire s’est substituée à la coopération forcée, substitution qui est le caractère du progrès du régime industriel, que ces contraintes disparaissent ; dans ces sociétés, l’union spontanée remplit exactement le même office que l’union obligatoire dans les autres.

Il reste à dire un autre fait : c’est que l’intégration politique, à mesure qu’elle progresse, tend à effacer les divisions primitives des parties intégrées. En premier lieu disparaissent lentement les divisions non topographiques qui proviennent de la parenté, dont le résultat est la formation de gentes et de tribus séparées, divisions qui se conservent longtemps après que de plus grandes sociétés se sont formées ; elles s’effacent par le mélange mutuel. En second lieu, les sociétés locales plus petites dont l’union forme une société plus grande, qui conservent d’abord leurs organisations séparées, les perdent par l’effet d’une longue coopération. Une organisation commence à s’y propager dans toutes les parties ; l’individualité de chacune d’elles finit par n’être plus apparente. En troisième lieu enfin, leurs limites topographiques s’effacent en même temps, et les nouvelles limites administratives de l’organisation commune les