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ANALYSES. — THOMAS FOWLER. Bacon’s Novum organum.

Sur la philosophie de Bacon en général, la dissertation de M. Fowler ne contient et ne pouvait contenir rien de bien original. Bacon est un pur logicien, non un philosophe qui ait un système à lui et qui puisse prétendre au titre de chef d’école. Tout au plus faut-lui assigner une part prépondérante dans les origines de l’empirisme anglais, en ce sens qu’il donna le premier l’exemple de l’indifférence à l’égard des problèmes métaphysiques. C’est d’ailleurs une question de savoir jusqu’à quel point cette indifférence doit être attribuée au dédain, ou à un sincère respect des solutions théologiques. On sait, en effet, que Bacon affecte partout de s’en tenir aux enseignements de la foi en ce qui concerne l’origine, la fin et l’essence des choses. Mais en réalité il a une métaphysique[1], et fort voisine de l’orthodoxie religieuse, quoique Lange n’ait pas tort de relever dans sa philosophie une certaine tendance matérialiste[2].

Il y aurait une curieuse étude à faire sur Bacon psychologue. Peut-il compter pour un ancêtre de la psychologie expérimentale ? Faut-il faire remonter jusqu’à lui (et non seulement à Hartley, à Hume, à Locke, à Hobbes) les commencements de l’école associationniste ? M. Fowler se contente d’appeler l’attention sur son étrange théorie des deux âmes, d’une âme raisonnable ou proprement humaine, née du souffle divin, et d’une âme irrationnelle, commune à l’homme et à l’animal, issue du sein des éléments[3]. Peut-être ne pouvait-on en venir à considérer sans scrupules l’âme et son développement comme un objet de science positive, de science naturelle, qu’à la condition de commencer par mettre à part et hors de cause l’âme raisonnable. Mais il est douteux que Bacon ait eu cette intention : il aura plutôt embrassé, tout simplement en l’appuyant de raisons théologiques, une conception qui n’était pas nouvelle, tant s’en faut, dans l’histoire de la métaphysique.

Mais ce qu’il est intéressant de rechercher (et la question, qui serait injurieuse pour tout autre philosophe, n’est que naturelle avec un homme de son caractère), c’est jusqu’à quel point il était sincère dans ses continuels appels à la révélation. Est-ce profonde conviction personnelle, ou simple concession aux idées encore dominantes de son temps ? Il accepte expressément pour la philosophie, surtout pour la morale, le rôle de servante de la théologie « Quod si quis objiciat animorum curationem Theologiæ Sacræ munus esse, verissimum est quod asserit ; attamen Philosophiam Moralem in famulitium Theologiæ

  1. M. Ch. Lévêque a donné dans cette Revue même (1877, t. III, p. 133) une étude sur Bacon métaphysicien.
  2. Geschichte des Materialismus, 2e édit., t. I, p. 194-199.
  3. « Quod altera ortum habuerit a Spiraculo Dei, altera e Matricibus Elementorum. Nam de Animæ Rationalis generatione primitiva ita ait Scriptura : Formavit hominem de limo terræ et spiravit in faciem ejus Spiraculum vitæ. At generatio animæ Irrationalis, sive Brutorum, facta est per verba illa : Producat aqua ; producat terra : hæc autem Anima (qualis est in homine) Animæ Rationali organum tantum est, atque originem habet et ipsa quoque, quemadmodum in Brutis, e limo terræ… » De Augm., IV, 3.