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JANET. — de la valeur de syllogisme

que si nous plaçons devant nos yeux une classe entière de faits, il est alors très vraisemblable que, si les prémisses sont insuffisantes, nous découvrirons le vice de notre généralisation. Si par exemple, pendant le règne de Marc-Aurèle, un sujet romain, obéissant à la tendance naturellement imprimée aux imaginations et aux espérances par la vie et le caractère des Antonins, avait conclu que Commode serait un bon souverain, il n’aurait été désabusé que par une triste expérience. Mais, s’il avait réfléchi que sa conclusion n’était valable qu’autant que la même preuve pouvait garantir une proposition générale, celle-ci, par exemple, que tous les empereurs romains sont de bons souverains, il aurait immédiatement pensé à Néron, Domitien et à d’autres exemples, qui lui auraient montré la fausseté de cette proposition générale dans laquelle Commode était englobé. »

Le syllogisme est donc une sorte d’épreuve qui consiste à traduire d’abord dans une proposition générale la conclusion particulière que l’on veut obtenir, en voyant si elle supporte la généralité. Mill semble ici nous donner un canon logique de la vérité, analogue au canon moral du juste et de l’injuste donné par Kant sous cette forme : Si vous voulez savoir si telle action particulière est bonne ou mauvaise, traduisez la maxime de votre action en une maxime de législation universelle pour toute la nature, par exemple : il est dans mon intérêt actuel de mentir ; traduisez : il est permis à tout le monde de mentir par intérêt ; ce sera la réduction à l’absurde de votre maxime personnelle. St. Mill dit de même : Si vous voulez savoir si une proposition particulière doit être inférée de vos expériences antérieures, traduisez-la en une proposition générale ; si cela est impossible, ce sera la réduction à l’absurde de cette proposition.

Que l’on ne croie pas d’ailleurs que l’on traduise ainsi l’expérience passée en une proposition générale, pour en tirer ensuite, comme y étant contenue, la proposition particulière, car ce serait retomber dans la pétition de principe réfutée plus haut : mais c’est qu’il y a identité, dans cette circonstance, entre la proposition particulière et la proposition générale, et elles s’impliquent l’une l’autre. C’est que, « si de l’observation passée on peut conclure à un fait nouveau, on peut conclure par cela mène à un nombre indéfini de ces mêmes faits. Toute induction qui suffit pour prouver un fait prouve une multitude indéfinie de faits. L’expérience qui justifie une prédiction isolée doit pouvoir justifier un théorème général. »

Telle est la théorie de M. Mill, et elle paraît avoir eu en Angleterre un grand succès. Cependant elle nous parait insoutenable et contradictoire.