Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
165
TANNERY. — l’éducation platonicienne

Comment ne pas supposer dès lors qu’il fait précisément allusion ici à la première application heureuse de cette théorie, l’explication des mouvements de Mercure et de Vénus par l’hypothèse de leur rotation autour du soleil mobile, système que nous savons avoir été adopté, en même temps que la rotation diurne de la terre sur elle même, par ce disciple dont nous avons cité le nom tout à l’heure, Héraclite du Pont[1] ?

Il convient d’expliquer comment ce lambeau de la vérité fut saisi le premier, et comment il put être abandonné plus tard par Hipparque et Ptolémée.

Longtemps encore après l’époque de Platon, l’inexactitude des moyens d’observation ne permettait pas de réclamer, pour représenter le mouvement d’une planète quelconque, plus qu’une des combinaisons suivantes, entre lesquelles on peut d’ailleurs choisir indifféremment au point de vue de la représentation des phénomènes :

1o Un mouvement régulier sur un excentrique dont le centre mobile décrit un cercle concentrique à la terre ;

2o Un mouvement régulier sur un épicycle dont le centre mobile décrit un cercle excentrique à la terre[2].

Si l’on adopte l’hypothèse de l’épicycle pour le soleil et les planètes inférieures, celle au contraire de l’excentrique pour les planètes supérieures, on trouve que tous les centres des épicycles et des excentriques sont constamment sur une même droite. Comme d’ailleurs la valeur absolue des rayons est arbitraire, on peut faire l’hypothèse que tous ces astres ont un mouvement de rotation autour d’un même point du ciel, lequel point tourne autour de la terre. Les apparences seront au reste les mêmes, que l’on suppose ce point immobile au centre du monde et la terre tournant autour de lui. Alors c’est le soleil qui se trouve au plus près de ce centre du monde, et on peut enfin l’y supposer fixe, à la condition d’excentrer les circonférences décrites autour de lui.

Mais ce dernier système, que nous connaissons sous le nom de Copernic, ne pouvait venir à l’esprit avant que l’on eût démontré que la grandeur du soleil était incomparablement supérieure à celle de la terre et que, par suite, il méritait suffisamment d’obtenir la place centrale. C’est à Aristarque de Samos qu’au siècle suivant cette double gloire était réservée. À l’époque de Platon, la théorie

  1. On n’ignore pas que ce fut un des plus illustres élèves de Platon, et qu’il remplaça le maitre pendant son troisième voyage en Sicile (361 av. J.-C.).
  2. Pour le soleil et la lune en particulier, le centre de l’excentrique est fixe ; la durée de la révolution sur l’épicycle est égale à celle de la révolution du centre de l’épicycle lui-même.