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ments synthétiques à priori ; 2o ces jugements ont une valeur objective par la raison que toute connaissance à priori est une pure forme de l’expérience.

L’esthétique transcendantale est un préliminaire obligé. Le temps et l’espace sont à priori ; parlant ils sont des formes de notre réceptivité, et de plus nous ne nous représentons par les sens que les « phénomènes des choses ». Puisqu’il y a des choses en soi agissant sur notre réceptivité, le mot « objet » sera susceptible de deux sens : l’objet-phénomène (Dinge, Gegenstände unserer Sinne), et l’objet en soi (Dinge an sich, Gegenstände an sich). Si maintenant on se demande où git le point essentiel de l’esthétique, le plan ferait croire que c’est d’établir que l’espace et le temps sont des intuitions à priori ; mais le plan n’est pas ajusté spécialement au sujet. Ce n’est pas davantage de prouver que ce sont des formes de la sensibilité. Kant lui-même indique une troisième conclusion, la vraie : c’est que la sensibilité atteint seulement les objets-phénomènes. L’esthétique, c’est la préface de la déduction : la « Grenzbestimmung unserer sinnlichen Erkenniniss » avant la « Grenzbestimmung » de la raison. Un indice important de cet ordre intime et généalogique des idées kantiennes, c’est une faute de raisonnement : dans les « Remarques générales », Kant conclut : « Donc, ce que serait l’objet en soi et indépendamment de toute cette réceptivité de notre sensibilité, cela nous reste totalement inconnu. » Il devait se contenter de dire : Cela échappe à notre sensibilité ; mais il est emporté par la conclusion éloignée qu’il a en vue.

Le problème de l’analytique transcendantale n’est pas d’établir que les représentations de l’entendement sont à priori, — cela ressort de l’esthétique, — mais de fixer le nombre et la liaison des concepts purs. D’où la table des catégories et la déduction transcendantale. Les catégories ne sont que les diverses formes que prend la synthèse pour mettre de l’unité dans nos représentations ; cette opération constitue un jugement, Il y en a douze, autant que de sortes de jugements. Mais quel en est le lien ? et qu’est-ce qui en justifie l’usage ? Après tout, l’entendement est une faculté à part, qui pourrait bien n’être pas en correspondance avec la sensibilité, de manière que la série empirique des phénomènes ne serait pas une série de causes et d’effets ; elle l’est en fait, mais il s’agit d’en avoir l’explication transcendantale, De plus, les formes de l’entendement ne supposent dans la matière qu’elles appellent aucune des déterminations spéciales que notre sensibilité lui donne ; elles sont faites pour des objets en général, non pour ceux-là exclusivement. Ge qui rend plus aiguë encore la question de leur valeur universelle et nécessaire, et des limites où elles valent. De là cette œuvre laborieuse, impénétrable d’abord aux philosophes de l’époque déshabitués des routes royales de la pensée : la déduction transcendantale.

Loin de former une exposition continue, progressive, elle se compose de quatre démonstrations parallèles, et en même temps diverses, avec