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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

les rues, elles sont sujettes à éprouver un frémissement, une sensation désagréable dans la partie correspondante de leur corps. (Id., p. 4, vol. I). » Les émotions auxquelles le corps est étranger sont partagées de la même manière, dès que les marques extérieures par lesquelles elles s’expriment d’ordinaire ou un simple récit nous révèle son existence. Il n’est même pas nécessaire qu’une passion soit réellement éprouvée par un de nos semblables pour que nous y prenions une part sympathique ; nous nous intéressons aux peines et aux joies des héros de romans, aux angoisses que nous prêtons aux fous, aux souffrances que nous attribuons aux morts. Ce ne sont pas en effet les émotions d’autrui qui passent directement en nous ; nous nous plaçons par l’imagination dans les circonstances où nous voyons les autres, et nous éprouvons alors de nous-mêmes ce qu’ils éprouvent dans ces circonstances ou ce qu’ils doivent éprouver à notre jugement. Mais nous le faisons sans songer pour cela à nos propres intérêts, sans nous livrer à aucune combinaison, à aucun calcul ; les plaisirs qui accompagnent l’exercice de la sympathie sont immédiats et irréfléchis. Autrement, il faudrait dire qu’en vertu de la sympathie nous devons désirer voir les maux de nos semblables se prolonger au lieu de leur porter secours, pour faire durer le plaisir de la sympathie : conséquence absurde.

Voilà le fait initial duquel dépend toute notre vie morale, selon Smith. Nous nous demanderons si la peinture en est exacte. Voyons pour le moment comment il a tiré de là le moyen d’apprécier la valeur morale des actes humains. Rien de plus simple. « Approuver les opinions d’un autre, c’est les adopter, et les adopter, c’est les approuver. Or il en est de même par rapport à l’approbation ou à l’improbation de leurs sentiments ou de leurs passions (Id., p. 24, vol. I). » Si donc il y a des émotions qui n’engendrent que difficilement la sympathie ou qui provoquent une antipathie décidée, ces émotions seront moralement médiocres ou mauvaises, et médiocres ou mauvais les actes qu’elles auront inspirés. Smith ne fait pas cette différence ; il sous-entend que le jugement porté sur les émotions l’est aussi sur les actes consécutifs.

Tout d’abord, il avait déclaré que nous prenons part à toutes les passions ou affections d’autrui, quelles qu’elles soient. Il revient sur cette déclaration, qui, si elle était vraie, compromettrait tout son système, et regarde au contraire comme mal propres à exciter la sympathie deux classes d’émotions : 1o celles que nous éprouvons à l’occasion des organes du corps ; 2o les passions insociables, ou belliqueuses. Les passions physiques, correspondant aux fonctions de nutrition et de reproduction, ne sont pas moralement irréprochables,