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HERBERT SPENCER. — la société militaire

volonté du guerrier-chef soit efficace quand l’agrégat social est grand, il faut des sous-centres, et des sous-sous-centres hiérarchisés, par où les ordres passent en se renforçant à la fois dans la partie combattante et dans la non combattante. De même que le commandant dit au soldat et ce qu’il doit faire et ce qu’il ne doit pas faire, de même, dans toute l’étendue d’une société militaire, la règle est à la fois négativement régulative et positivement régulative : elle ne se borne pas à prohiber, elle dirige : le citoyen, comme le soldat, vit sous un régime de coopération obligatoire. Le développement du type militaire implique une rigidité croissante, puisque la cohésion, lu combinaison, la subordination et la réglementation à laquelle il soumet une société, diminuent inévitablement leur aptitude à changer leur position sociale, leurs occupations, leurs localités respectives. L’étude des sociétés, passées et présentes, grandes et petites, qui ont ou qui ont eu pour caractère un militarisme prononcé prouve à posteriori qu’au milieu des différences dues à la race, aux circonstances, au plus ou moins de développement, il y a des ressemblances de genres divers que nous avons indiquées plus haut en raisonnant à priori. Le Dahomey moderne et la Russie, comme l’ancien Pérou, l’Égypte et Sparte, sont des exemples de la possession de l’individu par l’État, qui s’étend à la vie, à la liberté, aux biens, possession qui est le caractère de l’état social adapté à la guerre. La Rome impériale, l’empire d’Allemagne et l’Angleterre, depuis qu’elle est rentrée dans la voie des conquêtes, montrent qu’avec les changements qui adaptent davantage une société aux fonctions guerrières marche un accroissement du fonctionnarisme, de l’autorité, de la surveillance, qui établit de l’analogie entre la vie des civils et celle des militaires.

Enfin le témoignage est fourni par le caractère adapté des hommes qui composent les sociétés militaires. Ils mettent la gloire suprême dans le succès à la guerre ; aussi confondent-ils la bonté avec la bravoure et l’énergie. La vengeance est un devoir sacré pour eux ; agissant chez eux d’après la loi de représailles qu’ils appliquent au dehors, ils sont au dedans comme au dehors prêts à se sacrifier les autres : leurs sentiments sympathiques constamment étouffés durant la guerre ne sauraient être actifs durant la paix. Ils doivent s’inspirer d’un patriotisme qui regarde le triomphe de leur société comme le but suprême de l’action ; ils doivent posséder la loyauté d’où résulte l’obéissance à l’autorité ; enfin, pour qu’ils puissent demeurer obéissants, ils doivent posséder une foi solide. Avec la foi en l’autorité, et l’aptitude à subir une direction, qui en est la conséquence, il n’y a