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HERBERT SPENCER. — la société industrielle

Dans le régime industriel, l’individualité du citoyen, au lieu d’être sacrifiée par la société, doit être protégée par la société la société a pour devoir essentiel de défendre l’individualité de ses membres. Quand la protection à l’extérieur n’est plus nécessaire, la protection à l’intérieur devient la fonction cardinale de l’État, et l’accomplissement effectif de cette fonction doit être un trait prédominant du type industriel ; nous allons le voir bientôt.

En effet, il est clair que, toutes choses égales d’ailleurs, une société où la vie, la liberté et la propriété sont assurées, et tous les intérêts justements considérés, doit prospérer plus qu’une société où ces conditions ne sont pas remplies ; et par conséquent, parmi les sociétés industrielles rivales, celles dans lesquelles les droits personnels sont imparfaitement assurés doivent peu à peu le céder à celles dans lesquelles ces droits sont parfaitement assurés. En sorte que par la survie des plus aptes un type social doit se produire dans lequel les droits individuels, considérés comme sacrés, ne subissent plus l’autorité de l’État au delà de ce qui est nécessaire pour payer les frais de leur protection, ou mieux de l’arbitrage qui doit régler leurs différends. En effet, les dispositions agressives favorisées par le militarisme ayant péri, la fonction corporative consiste à décider entre les prétentions rivales, où les personnes intéressées n’aperçoivent pas la mesure équitable qui les mette d’accord.

Quand la nécessité de l’action corporative grâce à laquelle toute une société s’emploie utilement pour la guerre fait défaut, la nécessité d’une autorité gouvernementale despotique fait aussi défaut.

Non seulement une autorité de ce genre n’est plus nécessaire, mais elle ne saurait exister. En effet, puisqu’une condition essentielle du type industriel veut que l’individualité de chaque homme ait le champ libre autant que le comporte la liberté de l’individualité des autres hommes, l’autorité despotique qui se révèle par les entraves qu’elle impose à l’individualité d’autrui se trouve naturellement exclue. Par sa seule existence même, un souverain despotique est un agresseur pour les citoyens ; par le pouvoir réel ou possible qu’il a en main et qu’il ne tient pas d’eux, il oppose plus d’obstacles à leurs volontés qu’ils ne s’en opposeraient mutuellement.

L’autorité qui est nécessaire dans le type industriel ne saurait être exercée que par un organe institué pour constater et exécuter la volonté moyenne ; un organe représentatif est le plus propre à jouer ce rôle.

À moins que les fonctions de tous ne soient de même espèce, ce qui n’est pas possible dans une société avancée où la division du travail existe, un besoin apparaît, celui de concilier les intérêts