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encore » [1]. Les pacifiques Lepchas « subissent de grandes privations plutôt que de se soumettre à l’oppression et à l’injustice[2]. » Le « Santal à l’esprit simple » possède « un vif sentiment de la justice, et, si l’on tente de le contraindre, il quitte le pays[3]. » Il en est de même d’une peuplade dont nous n’avons pas encore parlé, les Jakuns du sud de la presqu’île de Sumatra, qui sont « absolument inoffensifs », braves, mais pacifiques ; ils n’obéissent à aucune autorité que celle de chefs nommés par le peuple, qui règlent leurs différends ; aussi dit-on qu’ils sont « extrêmement fiers » : on leur attribue cette prétendue fierté parce que leurs excellentes qualités « ont induit certaines personnes à essayer de les domestiquer, et que ces essais ont généralement fini par la disparition des Jakuns à la plus légère contrainte[4]. »

En même temps qu’un vif sentiment de leurs propres droits, ces hommes pacifiques montrent un respect rare pour les droits d’autrui. On le voit d’abord à la rareté des collisions de personnes chez eux. Hodgson dit que les Bodos et les Dhimals « s’abstiennent de tout acte de violence contre les membres de leur race et contre leurs voisins » [5]. D’après le colonel Ouchterlony, chez les tribus pacifiques de la chaîne des Nilgherries, « l’ivrognerie et la violence sont inconnues[6]. » Campbell remarque que les Lepchas « se querellent rarement entre eux[7]. » Les Jakuns ont aussi « très rarement des querelles entre eux » ; et les disputes qui éclatent y « sont réglées par des chefs choisis par le peuple » sans combat ni violence[8]. Les Alfarous « vivent pacifiquement et fraternellement les uns avec les autres[9]. » En outre, dans les récits sur ces peuplades, nous ne lisons rien qui rappelle la loi du talion. Comme elles ne sont pas en hostilité avec les groupes voisins, elles ne connaissent pas « le devoir sacré de la vengeance sanglante », cette loi universelle des tribus et des nations belliqueuses. Chose plus significative, nous voyons des faits qui prouvent l’existence d’une doctrine et d’une pratique opposée. Les Lepchas, dit Campbell, « sont singulièrement oublieux des

  1. Hodgson, Journal Asiatic Society, Bengal, XVIII, 746.
  2. Campbell, Journal of Ethnologicat Society, juillet 1869.
  3. Huntes’s, Annals of rural Bengal, I, 909. Sherville, Journal As. Soc., XX, 551.
  4. Rev. P. Favre, Journal of India Archipelago, II, 266.
  5. Hodgson, Journal As. Soc., XVII, 746.
  6. Col. Ouchteslong, Memoirs of Surucy of N. H., 69.
  7. Campbell, Journal of Ethn. Soc., juillet 1869.
  8. Rev. P. Favre, loc. cit., II, 266.
  9. Earl, Trad. des voyages du Domga de Kolff, 161.