Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/524

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
520
revue philosophique

elle implique l’existence de la thèse contraire. Cette conclusion si bizarre dans son énoncé, est dans une conformité si éclatante avec les faits, que la thèse en reçoit un surcroît d’évidence. Ainsi il n’y a de vérité que parce que l’erreur est possible. C’est l’erreur qui légitime la vérité.

Tel est le déterminisme logique par opposition au déterminisme volitionnel. Nous ne sommes pas libres de croire que deux et deux font cinq ; mais il fut un temps où l’homme n’était pas libre de ne pas croire que le soleil tournait autour de la terre. Ceux qui nient la liberté, comme ceux qui l’affirment, ne sont pas libres au moment où ils énoncent leur pensée. Retombons-nous par là dans l’opinion que nous venons de combattre ? Nullement. D’abord, le déterminisme logique présente ceci de fortifiant et de stimulant, que la vérité, c’est-à-dire la représentation de la réalité dans l’esprit, finit toujours par triompher. Il est vrai qu’il reste encore une question. Dans la lutte entre la vérité et l’erreur, l’homme n’a-t-il qu’un rôle passif ? n’est-il qu’un simple champ de bataille ? ou bien peut-il prendre parti et aider au triomphe de l’une ou de l’autre ? Quand il jette de haut un regard sur le théâtre où se heurtent les antagonistes, doit-il attendre avec indifférence et dans une entière impuissance l’issue de la lutte ? ou peut-il s’exercer à démêler de quel côté sont les bons soldats et à quel drapeau la victoire est réservée ? Pour le fataliste, la question n’a pas de sens, Pour ceux qui admettent le libre arbitre, la recherche de la vérité est possible, Comment ? d’après quelles règles ? en suivant quels guides ? Ce sont là des questions auxquelles il a été répondu de bien des manières. À la suite de maîtres illustres, j’ai essayé aussi de les aborder et je l’ai fait à plusieurs reprises, en dernier lieu dans mon deuxième article sur les rêves (nov. 1879). Mais ceci m’écarte de mon sujet.

II


Me voici arrivé à la fin de mon analyse.

« Il ne reste plus qu’un point, dit M. James, et un point philosophiquement important. Est-il vrai, suivant une commune remarque, que l’effort musculaire soit le seul sentiment qui nous révèle une réalité extérieure indépendante de nous-même, laquelle par là prend la forme d’une force semblable à la nôtre et mesurée par elle ? Naturellement, si le sens musculaire est — comme il vient d’être démontré — une somme de sentiments afférents, il n’est pas plus que nos autres sens celui de la force. Il nous révèle la dureté et la pression, comme ceux-là font la couleur, la saveur, l’odeur, le son. Et tous ces attributs sont également subjectifs. Le physicien ne connaît rien de la force dans un sens non phénoménal. La force n’est pour lui qu’un terme générique pour désigner les choses qui causent du mouvement, Si nous aspirons à dépouiller la