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en compte trois, dans chacun desquels les trois facultés vont de pair. La perception au plus bas degré est purement naturelle (et nous allons voir quels en sont alors les caractères) ; elle devient animale dès qu’elle se fait par les sens, intellectuelle quand elle s’accompagne de réflexion et de raison. L’appétition, ou tendance du vivant à rechercher son bien, est, de même, ou naturelle, ou sensitive, ou réfléchie ; dans ce dernier cas, elle s’appelle volonté. Enfin la faculté de faire effort, de mouvoir soi-même ou autre chose, produit des mouvements naturels, des mouvements animaux ou des mouvements libres. — Dans chacune de ces trois vies, en quelque sorte superposées, vie naturelle, vie animale, vie humaine, la perception « montre pour ainsi dire la voie aux deux autres facultés ». Chez Leibnitz, on le sait, c’est l’appétition qui a le pas : « les perceptions naissent les unes des autres par la loi des appétits ; » mais, à cela près, la doctrine est la même : les monades créées sont de trois genres, « ou douées de raison, ce sont les esprits, ou seulement pourvues de sens, comme les âmes des bêtes, ou arrêtées à quelque degré inférieur encore de perception et d’appétition, comme les monades nues[1]. » Pour Leibnitz comme pour Glisson, dans la vie inférieure les trois facultés agissent nécessairement, dans la vie moyenne elles opèrent d’une manière intermédiaire entre la nécessité et la liberté, dans la vie supérieure règne l’intelligence « qui n’est point, il est vrai, libre de sa nature, mais qui est la source de la liberté. » Exemptes de toute erreur dans le domaine de la pure nature, les trois facultés deviennent faillibles à mesure qu’elles participent du jugement : c’est ainsi que, chez l’animal, les sens se trompent, l’appétit est frustré, le mouvement manque son but. Avec la vie humaine apparaît la responsabilité.

Comme c’est la faculté perceptive qui toujours « conduit le chœur », Glisson s’applique surtout à distinguer les trois degrés de la perception. La perception naturelle diffère de la perception intellectuelle, en ce qu’elle est simple et nécessaire ; celle-ci, au contraire, essentiellement réfléchie, la présuppose, la contemple pour ainsi dire, « perçoit sa perception[2]. » Quant aux caractères qui séparent la perception naturelle de la perception sensible, il ne se lasse pas de les reprendre. Tous se ramènent à ces traits essentiels : la perception naturelle ne dépend d’aucun organe et, même dans la matière organique, préexiste à l’organisation ; elle s’ignore elle-même ou, si elle se perçoit, ne se distingue pas de son objet. Loin

  1. Epist. ad Bierlingium, III : Erdm., p. 678.
  2. XV, 5.