Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
DELBŒUF. — déterminisme et liberté

celles qu’il subit en propre. La mécanique enseigne à faire cette composition. L’opération faite montre qu’en dernière analyse tous ces mouvements divers se ramènent à un mouvement de translation et à un mouvement de rotation.

Ce que nous disons du point, conception imaginaire, s’applique à un corps solide quelconque. Ainsi le mouvement d’un caillou lancé à la main, de même que celui de la Lune dans l’espace, se réduit facilement à un mouvement de translation et à un mouvement de rotation autour de son centre de gravité.

Mais nous pouvons aller plus loin encore dans la voie de la simplification. Rien n’empêche d’imprimer, par l’imagination, à l’univers un mouvement tel que le corps que l’on considère se meuve dans l’espace absolu d’un mouvement rectiligne et uniforme, Considérons, par exemple, les mouvements capricieux de la bille sur la roulette. Il est aisé de se figurer que l’on pourrait remuer la roulette de telle façon que la bille, pour un œil qui serait dirigé uniquement sur elle, paraitrait absolument immobile. Et si maintenant la personne qui imprime ces mouvements à la roulette se mettait à suivre uniformément une ligne droite, cet œil verrait la bille décrire une ligne droite d’un mouvement uniforme.

Quelque compliqués donc que soient les mouvements des corps, on peut les simplifier au moyen d’une fiction parfaitement légitime.

Usons de cette faculté : ne considérons dans l’univers qu’une portion de droite solide, animée d’un mouvement uniforme de translation suivant sa propre direction. Nous choisissons une droite solide comme nous aurions pu choisir une figure solide quelconque. Mais, dans cette figure, nous détachons par la pensée une série de points en ligne droite pour rendre le raisonnement plus intuitif.

Une raison analogue nous fait adopter le mouvement uniforme : il est le symbole du temps mécanique[1].

Incarnons maintenant une force libre dans une goutte de matière amiboïde. Pour mieux aider l’imagination, représentons-nous cette goutte comme uniquement capable d’agir transversalement sur la barre mobile, au moyen d’un bras adventice, en déplaçant, cela va de soi, son propre centre de gravité. Nous avons vu que le mouvement du centre de gravité du système formé par la barre et la goutte ne sera nullement affecté par ces déplacements mutuels. Quant à la propulsion du bras, elle s’obtient par la détente des ressorts qui unissent les molécules vivantes du corps de l’animal.

  1. Dans notre Essai de Logique scientifique, p. 215, nous définissons le temps mécanique : un mouvement uniforme arbitraire pris pour unité de mouvement.