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RIBOT. — les affaiblissements de la volonté

puissance le poursuivait. Il est vrai que souvent cette impuissance n’existait pour ainsi dire qu’en appréhension ; le malade craignait de ne pas pouvoir, et cependant il y parvenait, même plus souvent qu’il ne l’appréhendait ; mais souvent aussi, il faut le dire, ses appréhensions étaient légitimes. »

Après six jours passés à Marseille, le malade et le médecin s’embarquèrent pour Naples. « Mais ce ne fut pas sans une peine inouïe. » Pendant ces six jours, « le malade exprima formellement le refus de s’embarquer et le désir de retrouver à Paris, s’effrayant d’avance à l’idée de se trouver avec sa volonté malade dans un pays étranger, déclarant qu’il faudrait le garrotter pour le conduire. Le jour du départ, il ne se décida à sortir de l’hôtel que quand il me crut décidé à faire intervenir un appareil de force ; étant sorti de l’hôtel, il s’arrêta dans la rue, où il fût resté sans doute, sans l’intervention de quatre mariniers qui n’eurent d’ailleurs qu’à se montrer… »

« Une autre circonstance tend encore à faire ressortir davantage la lésion de la volonté. Nous arrivâmes à Rome le jour même de l’élection de Pie IX. Mon malade me dit : « Voilà une circonstance que « j’appellerais heureuse, si je n’étais pas malade. Je voudrais pouvoir « assister au couronnement ; mais je ne sais si je pourrai : j’essayerai. » Le jour venu, le malade se lève à cinq heures, tire son habit noir, se rase, etc., etc., et me dit : « Vous voyez, je fais beaucoup, je ne sais encore si je pourrai. » Enfin, à l’heure de la cérémonie, il fit un grand effort et parvint à grand’peine à descendre. Mais dix jours après, à la fête de saint Pierre, les mêmes préparatifs, les mêmes efforts n’aboutirent à aucun résultat. « Vous voyez bien, dit le malade, je suis toujours mon prisonnier. Ce n’est pas le désir qui me manque, puisque je me prépare depuis trois heures ; me voici habillé, rasé et ganté, et voilà que je ne peux plus sortir d’ici. » En effet, il lui fut impossible de venir à la cérémonie. J’avais beaucoup insisté, mais je n’ai pas cru devoir le forcer. »

« Je terminerai cette observation déjà bien longue par une remarque : c’est que les mouvements instinctifs, de la nature de ceux qui échappent à la volonté proprement dite, n’étaient pas entravés chez notre malade comme ceux qu’on peut appeler ordonnés. C’est ainsi qu’en arrivant à Lyon, au retour, notre malle-poste passa par-dessus une femme que les chevaux avaient renversée. Mon malade recouvra toute son énergie et, sans attendre que la voiture fût arrêtée, rejeta son manteau, ouvrit la portière et se trouva le premier descendu près de cette femme. »

L’auteur ajoute que le voyage n’eut pas l’efficacité qu’il supposait ; que le malade se trouvait mieux cependant en voiture, surtout