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telle qu’elle est formulée et condensée en quelque sorte dans la partie de leur œuvre où ils se sont faits théoriciens. De là une longue étude de l’Art poétique de Boileau rapproché presque vers par vers d’autant d’articles ou de règles de la métaphysique et de la logique cartésienne. Il nous est sans doute arrivé de dire, il y a déjà bien des années, que l’Art poétique de Boileau était, pour ainsi dire, le Discours de la méthode de la littérature et de la poésie, que Boileau s’est inspiré de ce règles de bon sens, de cet esprit de méthode, de ces excellents préceptes de logique que le cartésianisme avait mis en honneur dans les lettres comme dans les sciences. Mais nous n’avions pas eu la pensée’de pousser la comparaison plus avant, ni la prétention de trouver, comme l’auteur, un élément philosophique cartésien, quelque règle de la Méthode ou de la Direction de l’esprit, dans chacun des préceptes de Boileau, même dans ceux qui ne sont qu’une traduction d’Horace, qui n’avait rien, pensons-nous, emprunté à la philosophie cartésienne, Nous admettons que son esprit et sa méthode soient pour quelque chose dans les préceptes et les vers répétés, que s’amuse à compter M. Krantz, où le poète recommande d’aimer la raison et la clarté, et aussi dans la célèbre maxime : « Rien n’est beau que le vrai ; » mais nous ne voyons pas si clairement le Cogito dans ce vers :

Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.

Il est vrai qu’il le verra aussi, avec la loi cartésienne de moindre action, sans réussir davantage à nous l’y faire voir, dans la maxime de Buffon : « Le style, c’est l’homme. » Nous ne voyons pas non plus le moindre rapport entre le rôle philosophique de l’unité dans Descartes, entre sa doctrine de l’unité de l’âme et le précepte de Boileau traduit d’ailleurs d’Horace, sur l’unité dans les œuvres littéraires. Malgré tout les plus ingénieux efforts de l’auteur, nous ne découvrons pas ce qu’il peut y avoir de cartésien dans la séparation des genres, qui est aussi dans Horace, de même que dans Boileau. Descartes a en effet profondément séparé l’âme du corps ; mais que s’ensuit-il pour la séparation de la tragédie et de la comédie ? Ce qui nous étonne peut-être plus encore, c’est de trouver Descartes mêlé à la règle des trois unités. Sans doute M. Krantz sait fort bien que les trois unités viennent d’ailleurs et datent de plus loin. Mais néanmoins elles lui semblent prendre une couleur cartésienne dans Boileau, par la façon absolue dont il les énonce, par la rationalisation, selon son expression, qu’il leur donne. Il faut citer ici la thèse elle-même : « Si les trois unités viennent d’Aristote, c’est l’amour de l’unité, et le goût des règles absolues de esprit inspiré par le cartésianisme à toute l’époque pénétra la littérature et la provoqua à faire l’emploi qu’elle pourrait du principe de l’unité et à se donner des lois qu’elle voulait et qu’elle croyait absolues et définitives (p. 168). » Mais d’ailleurs où ne voit-il pas l’influence littéraire du cartésianisme ? Il la découvre jusque dans les contes de Perrault, dont les fées lui semblent « quelque peu cartésiennes », parce qu’elles font à Cendrillon