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ANALYSES. — P. SOURIAU. Théorie de l’invention.

règne Je déterminisme, et c’est ce déterminisme universel qui rend possible une recherche sur le principe de l’Invention.

Si le hasard exclut toute indétermination, faut-il croire qu’il ne soit qu’un mot ? Non : il est quelque chose de plus. Il est « le conflit des causes étrangères avec les fins que nous nous proposons. » (P. 65.) « Un navire vient de heurter la nuit contre une épave et s’y brise. On attribue cet accident au hasard. Cela veut-il dire que la rencontre n’a pas été déterminée ? Nullement. L’épave s’avançait lentement vers la mer, poussée par le vent et par les courants ; le navire, de son côté, dirigé par son capitaine, allait dans une direction fixée d’avance. Étant donnés le mouvement imprimé à l’épave et l’itinéraire choisi par le capitaine, la rencontre était inévitable… Mais, au point de vue du capitaine, qui ne pouvait soupçonner la proximité de l’obstacle, la collision a été absolument fortuite. » (P. 65.)

Cet exemple emprunté à l’ordre physique nous permet de comprendre ce qu’est le phénomène de l’invention, l’éclosion soudaine d’une idée originale. Nous disons que cette idée originale, que cette invention est due au hasard. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu’il en est de notre pensée comme du monde extérieur. Une idée nouvelle s’y forme à un moment précis ; cette idée nous parait être inventée par nous ; c’est tout simplement un phénomène comme un autre, qui apparaît au moment où ses conditions nécessaires et ignorées de nous sont réalisées. Les phénomènes intellectuels se succèdent en effet dans l’esprit suivant un certain ordre qui paraît arbitraire, et qui est déterminé tant par les lois de l’association des idées que par l’influence de la perception externe, qui vient modifier à tout propos le travail intérieur de la pensée. L’étude du rôle que jouent l’association et les sens en intervenant ainsi dans la formation de nos idées est une des parties intéressantes du livre : elle a le défaut d’être trop sommaire et un peu vague.

Entre ces deux parties de l’ouvrage de M. Souriau (la théorie du hasard et celle du déterminisme de l’Invention) quel rapport y a-t-il ? Un rapport assez factice, ce semble. Au fond, l’idée de l’auteur, c’est qu’un déterminisme absolu, dont les éléments sont assez difficiles à distinguer, règne dans le travail de la pensée comme dans le monde physique. L’idée peut se soutenir. Mais est-il bien nécessaire d’introduire ici une théorie du hasard et de faire à cette théorie une si grande place ? Ne suffit-il pas de dire : L’invention est une combinaison d’idées, qui s’élabore à notre insu et qui s’opère à un moment donné, quand toutes les conditions nécessaires sont réalisées ? Dire que l’invention, c’est le hasard ; pour s’obliger ensuite à donner du hasard une définition qui le ramène au déterminisme pur et simple, c’est suivre une marche bien compliquée et faire beaucoup de chemin pour perdre de vue le but, Ce défaut de composition du livre, que nous avons essayé de rendre sensible par la marche même de notre analyse, est grave ; il l’est d’autant plus que la théorie du hasard ainsi plaquée et