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but, c’est la manifestation divine, le motif est la bonté divine ; Dieu veut communiquer aux créatures ses perfections et sa félicité. Rien là qui ne soit dans la théologie chrétienne, Ce qui suit est plus original et s’accorde avec ce qui précède. Le monde, sorti de Dieu, doit retourner à Dieu. Chaque créature doit développer son germe, s’approcher de l’absolu par une activité infinie : per finem reductionis ad ortum suum cum fructu redire. Mais ce qui caractérise surtout la pensée du philosophe, l’auteur le fait remarquer, c’est la tendance intellectualiste. Le but de la création, ce n’est pas l’amour, c’est la connaissance de Dieu ; tel est, du moins, le but suprême : la vision de Dieu : Intellectualis felicitas in visione intellectuali.

Connaître Dieu, s’élever à la connaissance de Dieu, toute créature intelligente doit y tendre ; les êtres inférieurs, le reste de la création ont été faits comme moyens auxiliaires propres à atteindre ce but : « Deus charitas est quæ amore cognoscitur et cognoscendo amatur. »

V. L’auteur se trouve ainsi conduit à étudier la place que, selon N. de Cusa, la Connaissance occupe dans l’univers. Ce problème est d’un haut intérêt dans la doctrine du philosophe de la Renaissance ; l’auteur y consacre un long chapitre. C’est en effet le nœud de tout le système. De là sort toute une philosophie de l’histoire, conçue au point de vue religieux ou moral où abondent les vues les plus libérales et les plus hardies.

Toute l’histoire se déroule autour de ce point central : la connaissance de Dieu. Chez tous les peuples, à toutes les époques, le plan divin s’est réalisé ; tous les grands événements concourent à ce but, Le paganisme comme le christianisme, les juifs, les mahométans, les Arabes comme les chrétiens, ont été appelés à cette œuvre et y ont travaillé. Tous ont participé à cette révélation universelle qui s’est accomplie à travers les siècles. Dans une mesure différente, tous ont connu la vérité et proclamé le nom de Dieu. Abraham fut chrétien, les sages du paganisme furent chrétiens. La même foi unique, eadem unica fides, les rapproche et les unit. Tous les philosophes professent au fond la même sagesse. « Unum Deum esse præsupponitis… Unum omnes respicientes variis modis expresserunt. » Platon et Pythagore ont été sur le seuil de la vérité. Les philosophes et les théologiens sont d’accord quand leur esprit s’élève vers l’infini : « Quando se mens ad infinitum elevat, concordantur. » Cusa proclame aussi avec une grande hardiesse l’harmonie des doctrines et des systèmes. Il est impossible de ne pas voir en lui le précurseur de Leïbnitz. Dans ce qui suit, n’annonce-t-il pas aussi Descartes ? L’autorité elle-même ne pèse plus sur lui ; il s’en affranchit et la désavoue. « Nullius auctoritas me ducit. » D’autre part, avec quel enthousiasme ne parle-t-il pas aussi de cette révélation naturelle et profane à laquelle il lui a été donné à lui surtout de s’initier et qui n’est autre que la science païenne ! Il remercie le Père des lumières de l’avoir conduit à cette source des grandes et pures doctrines de la Grèce. « In mari ex Græcia reducens, credo, superno dono a patre lumi-