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point que ses parents furent obligés de la conduire dans un asile. Le séjour de l’asile rendit à la malade le calme de l’esprit et la raison ; elle chercha à se rendre utile, travailla avec les infirmières et se fit bien venir de tout le monde ; la transformation fut si complète que ses parents voulurent la rendre à la liberté, Aussitôt rentrée chez elle, elle recommença à être prise du délire de persécutions, se persuadant que les aliments qu’on lui servait étaient empoisonnés et que sa mère et ses frères avaient résolu d’attenter à son honneur et à sa vie. La malheureuse fut même poursuivie par des hallucinations pendant lesquelles elle se croyait l’objet d’attentats. Force fut de la reconduire dans l’asile, et depuis ce temps-là elle n’en est plus sortie.

Cette malade n’a pas de délire, elle parle et elle agit comme une personne raisonnable ; mais elle répète que sa maison lui fait horreur et qu’elle ne veut y retourner à aucun prix. Ce ne sont pas ses parents qui sont l’objet de ce sentiment d’aversion ; elle aime ses parents, elle les accueille avec affection quand ils viennent la voir à l’asile. « Mes parents, dit-elle, me sont chers quand ils sont ici, et non quand ils sont à la maison, »

Le second sujet est une femme, M. S…., de soixante ans, née à Palerme de parents sains. Constitution délicate, tempérament lymphatico-nerveux. Elevée dans la demeure du marquis de R…, auquel ses père et mère étaient attachés comme domestiques, elle a passé ses premières années dans une sorte d’intimité avec le fils de la maison ; il paraît que, en grandissant, les deux enfants s’aimèrent, et que les parents jugèrent prudent de les séparer en faisant voyager le jeune marquis. La femme M. S. se maria en 1848, elle devint veuve peu après, et à la suite de longs malheurs elle rentra en 1860 dans la maison du marquis de R…., qui l’accueillit avec bienveillance. Huit ans après, le jeune marquis se mariait, et la femme M. S…., impressionnée par cet événement, donna pour la première fois des signes non équivoques de dérangement intellectuel. On la conduisit dans un asile d’aliénés ; son agitation maniaque se calma par degrés ; elle revint à la raison, de sorte que sa famille obtint la permission de la faire sortir. Ce qui s’était produit dans l’observation de la précédente malade se produisit ici. Le délire revint après la sortie de l’asile, et on fut obligé, au bout de très peu de temps, de ramener la malade à l’hospice.

Revenue à la raison pour la seconde fois, elle dit et répète qu’elle ne consent à aucun prix à quitter l’asile, et que sa maison lui fait horreur ; elle ne peut dominer ce sentiment, dont elle ne comprend pas la cause ; sa manie n’est associée à aucune illusion, aucune hallucination. D’autre part, pendant son second séjour à l’asile, qui date déjà de onze ans, elle n’a pas cessé de se montrer raisonnable, bonne jusqu’au dévouement pour les malades qu’elle voit souffrir : mais il ne faut pas lui parler de quitter l’asile, car aussitôt elle pâlit et devient tremblante. Ses enfants n’ont cessé de la prier de retourner chez eux, en lui pro-