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contradiction partout entre la manière de juger, d’apprécier et de produire. Les uns en sont capables, les autres absolument incapables. Ainsi en est-il en particulier des arts du dessin et des autres arts. L’un naît statuaire, l’autre peintre, l’autre architecte, l’autre musicien, un autre poète. Ce qui manque à l’un, l’autre le possède, et réciproquement. Là où l’un réussit, l’autre échoue nécessairement, et ils ne s’entendent ni ne se comprennent. Peut-être la thèse est-elle exagérée ; mais il en sort comme conclusion : 1o la nécessité d’une éducation et d’une culture spéciales pour les différents arts ; 2o la nécessité aussi d’étudier toutes ces formes, de les caractériser, de tracer les limites qui séparent les arts d’en saisir, les rapports et les différences.

Tout ce que la haute critique littéraire doit à Lessing n’est pas ici à rappeler. Mais, en ce qui touche à l’art en général et à la division des arts, il est facile de montrer le pas décisif qu’il fait faire à cette question, quoique nous soyons loin encore de la vraie solution.

Lessing rencontre sur sa route cette vieille maxime répétée sans examen depuis Horace par tous les auteurs : « La poésie ressemble à la peinture : Ut pictura poesis. » Il l’attaque ouvertement et avec sa vivacité ordinaire. Il démontre que, s’il y a des ressemblances, les différences ne sont pas moindres, et que l’on a eu tort de les méconnaître. À ce sujet, il entreprend de tracer les limites qui séparent les arts du dessin de l’art qui a pour instrument la parole et de marquer leurs conditions spéciales. Chose singulière, l’exemple qu’il a choisi étant emprunté à la sculpture fait que lui-même manque à sa règle et qu’il confond sans cesse deux arts très différents, la statuaire et la peinture. N’importe, la question est posée, le préjugé est reconnu faux, la nécessité en ressort évidente d’une théorie des arts où soient fixées leurs limites et nettement établies leurs différences et leurs conditions spéciales. Cette nécessité sera d’autant plus manifeste que lui-même, sera tombé dans l’erreur et le défaut qu’il a signalés.

Parmi les auteurs dont le mérite philosophique comme penseur et comme esthéticien peut-être contesté, mais qui exercèrent une grande influence dans le monde de l’art à cette époque en répandant des aperçus nouveaux et en propageant le goût de ces études, on doit citer en première ligne : J. G. Sulzer, dont l’ouvrage principal, fruit de vingt ans d’études et de méditations, a pour titre Theorie genérale des beaux-arts (Allgemeine Theorie der Künste). C’est une sorte d’encyclopédie des beaux-arts. Les articles, rangés par ordre alphabétique, n’offrent pas de lien systématique bien étroit ; mais ils contiennent l’essai d’une théorie et en particulier une division des arts très supérieure à ce qui la précède et qui mérite de fixer notre attention.