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voir un objet très proche, je remarque que cette représentation est empêchée. La représentation de la troisième dimension requiert la participation d’autres faisceaux musculaires que ceux des yeux.

Les amateurs de peinture savent que, pour bien apprécier un tableau, il est préférable de fermer un œil. Si l’on essaye successivement sur ce tableau la vision monoculaire et la vision binoculaire, on remarquera que dans le premier cas, l’impression de la profondeur est beaucoup plus grande. Pour mieux faire comprendre les déductions qu’on peut tirer de ce fait, l’auteur a joint à son livre une photographie représentant le côté d’un cloître : à droite une série de colonnes, à gauche un mur plein coupé seulement d’une porte et de trois fenêtres. Si, après avoir regardé cette photographie avec les deux yeux, on en ferme un, après une durée d’environ une seconde, on voit le cloître s’étendre singulièrement en profondeur. La profondeur augmente bien plus encore si l’on remue les yeux comme pour compter les colonnes à droite, ou les fenêtres à gauche.

D’où vient cette illusion ? Puisque un seul œil est en jeu, il ne peut être question de l’explication de Brücke (action combinée des deux yeux). Mais, dans l’opération ci-dessus indiquée de compter, en apparence au moins, les colonnes ou les fenêtres, il y a un mouvement de l’œil qui joue un rôle considérable. Si l’œil reste en repos, au bout de quelques secondes, la profondeur paraît moindre tout en étant grande encore. Peut-on dire en conséquence que la rétine peut saisir la profondeur sans l’aide des sensations musculaires ? Il est facile de répondre à cette question par l’expérience suivante. Au moment où, avec un seul œil, je vois le cloître dans toute sa profondeur, je change un peu la place de la photographie, en haut ou en bas, à droite ou à gauche. Aussitôt l’illusion tombe à son minimum, le cloître se raccourcit et l’image devient superficielle, comme dans la vision binoculaire ; mais, si l’on recommence à compter les colonnes, le maximum de profondeur se reproduit. L’auteur entre dans beaucoup d’autres détails, qui ne peuvent être compris que si l’on a la figure sous les yeux. Ces recherches ne permettent donc pas de douter que la rétine ne donne pas la profondeur par elle-même, mais seulement quand les sensations de mouvement se combinent avec les sensations visuelles.

Revenons maintenant à l’étendue en superficie. L’association des perceptions visuelles avec la profondeur n’est pas nécessaire. Cette association avec la superficie l’est au contraire. Mais pourquoi l’est-elle et en quel sens ? Cette association est une fonction psychique qui se passe dans le cerveau et, d’après les recherches objectives, dans les circonvolutions. Quand la rétine est impressionnée, l’excitation se transmet jusqu’au centre visuel. Dans ce centre se produisent les représentations de lumière et de couleur. Dire que la représentation de la couleur est liée à celle d’étendue, c’est dire que la première évoque la seconde. Nous savons que l’appareil sensoriel seul ne donne pas l’étendue ; que les actions musculaires doivent entrer en jeu. Nous savons que ces der-