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école est libre ; c’est lui qui lègue aux philosophes et les problèmes dont on fera gloire à Anaxagore ou à Socrate, et cette allure mystique qui s’imposera plus ou moins à tous ceux qui tenteront d’agiter ces problèmes.

Obscurcie un moment par l’éclat que jetteront Platon et Aristote, son œuvre reparaîtra bientôt pour former le fond essentiel de la doctrine du Portique. Les Stoïciens élaboreront son concept du Logos, et, à l’aurore des temps nouveaux, il se trouvera mûr pour être adopté par le christianisme.

Le rapprochement entre la doctrine d’Héraclite et le début de l’Évangile de saint Jean était déjà fait par un disciple de Plotin, Amélius[1]. Je ne me propose pas d’y insister, non plus que d’étudier l’histoire du concept du Verbe dans ses transformations successives. Ce sont ses origines qu’il s’agit d’examiner ici, en recherchant à quelles sources Héraclite a emprunté les éléments de sa doctrine.

II

HADÈS-DIONYSOS

Il y a eu en Grèce, pour les mystères, plusieurs rites qui semblent avoir été essentiellement distincts les uns des autres. Celui auquel Héraclite fait plus particulièrement allusion (fr.  81) était public ; c’était la procession du phallus, qui faisait partie des cérémonies du culte de Bacchus, telles que les avait instituées Mélampe, fils d’Amythaon. Hérodote (II, 48), après avoir constaté l’identité extérieure de cette procession chez les Égyptiens et chez les Grecs, se pose la question de l’origine de cette coutume et se contente de répondre : « On raconte à ce sujet une légende sacrée. »

Il est impossible de douter que cette légende ne soit celle que raconte tout au long Clément d’Alexandrie (Protrept., II, 34) avant de citer le fragment d’Héraclite qui s’y rapporte. Après l’avoir lue, on comprendra le silence d’Hérodote :

« Dionysos, désirant traverser l’Hadès, ignorait la route. Prosymnos promit de la lui enseigner, mais non sans une récompense ; une récompense qui n’était point honnête, mais, pour Dionysos, elle le fut ; c’était une faveur amoureuse que cette récompense qui lui était demandée. Le dieu voulut bien y consentir, promit de s’y prêter s’il achevait sa route, et confirma sa promesse par un serment. La route

  1. Eusèbe, prép. évang., 540, b. Remarquons aussi qu’Héraclite à fourni un autre terme à la Gnose, celui d’Eon. Voir fr.  44 et 92.