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notes et discussions

nettement. Je ne puis par conséquent conclure que le mouvement soit indispensable à cette perception.

Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de ce que je dis. Je ne conteste nullement la réalité de l’expérience de M. Siricker ; je dis que, pour moi, les choses ne se passent pas de la même manière. J’ajoute que même, l’expérience réussit-elle comme M. Siricker le veut, il suffirait que la perception du relief soit antérieure au mouvement de l’œil, comme M. Siricker lui-même paraît l’admettre, pour qu’on ne puisse établir que la perception du relief dépend entièrement de la sensation musculaire.

Le fait d’ailleurs que la sensation du relief devient plus nette quand on ferme un œil me paraît prouver que les impressions lumineuses peuvent faire naître cette perception à elles seules. Il est facile, en effet, de comprendre, sans faire intervenir les sensations motrices, pourquoi le relief paraît plus grand, dans la vision monoculaire. On sait que le relief dans la vision binoculaire d’un objet réel est donné en partie par les images un peu différentes qui se forment dans l’œil droit et dans l’œil gauche. Or, quand nous regardons avec les deux yeux une surface plane peinte, nous sommes à la fois portés à sentir le relief, à cause de la disposition des ombres et des lignes, et d’un autre côté nous sommes portés à voir la surface plane, parce que les deux yeux reçoivent d’elle la même impression. Si donc il arrive que nous fermions un œil, cette cause d’arrêt de la perception du relief disparaît, et nous avons cette perception telle que la disposition des différentes parties du dessin, des courbes et des lignes tend à nous la donner d’après nos expériences antérieures. On ne voit pas que les sensations musculaires de l’œil aient à jouer ici un rôle essentiel. Elles peuvent intervenir ensuite pour nous faire mieux apprécier la distance ; elles viennent en aide aux perceptions visuelles, mais c’est tout ce qu’on peut actuellement leur accorder, ce me semble. Il est possible qu’elles aient été nécessaires au début, par la formation de la perception de relief, et que l’esprit se soit ensuite habituer à juger inconsciemment sur les sensations simplement visuelles ; mais ceci est une autre question[1].

  1. Voir aussi à ce sujet l’article de M. Souriau : Les sensations et les perceptions, dans la Revue d’août 1883, p. 153. M. Souriau attribue peu d’importance aux sensations musculaires dans les perceptions de la vue et font à ce sujet une remarque ingénieuse dont il faudra tenir compte : « Ces sensations musculaires ne contribuent en rien à la perception. Ce qui nous fait mieux percevoir les corps, ce ne sont pas les sensations tactiles qui accompagnent le déplacement de l’œil, c’est ce déplacement même. » Il me semble toutefois que M. Souriau tombe dans un excès opposé. Il ne me paraît pas que sa théorie s’applique aussi bien que l’autre à certains cas particuliers.