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William Wallace. Kant (Blackwood et Cie, Londres).

Le petit livre de M. Wallace, très clair et très instructif, se compose de deux parties bien distinctes : dans les sept premiers chapitres, l’auteur expose la biographie de Kant ; dans les sept autres, il fait l’histoire de son système. De ces deux parties, la première est sans aucun doute la plus intéressante. Il était difficile, surtout dans un ouvrage élémentaire et classique, de présenter sous un aspect nouveau la philosophie de Kant, tant de fois étudiée. C’est par des recherches biographiques, c’est par l’étude du milieu où le philosophe a vécu et des influences qu’il a dû subir, en un mot c’est par une méthode historique et à grand renfort d’anecdotes, qu’on essaye aujourd’hui d’éclaircir sa pensée et d’expliquer son système.

M. Wallace revendique pour l’Écosse l’honneur d’avoir produit les ancêtres de Kant. L’auteur de la Critique serait ainsi le compatriote de David Hume, à qui il ressemble par plus d’un trait, et qui vint le réveiller, comme on sait, du « sommeil dogmatique ». Dans les chapitres II et III, on nous présente Kant tour à tour étudiant, précepteur et privat-docent. M. Wallace raconte spirituellement un certain nombre d’anecdotes plaisantes, dont quelques-unes sont bien connues : l’émotion du philosophe lors de sa première leçon, l’habitude qu’il contracta, en faisant son cours, de fixer les yeux sur l’habit d’un de ses élèves et même sur un certain bouton de cet habit, l’embarras qu’il éprouva le jour où ce bouton disparut, etc. Ce qui frappe dès maintenant dans le caractère du philosophe, et ce que M. Wallace ne fait peut-être pas assez ressortir, c’est l’amour de l’ordre, de la règle ; c’est le penchant à contracter des habitudes, presque des manies. Kant s’est montré, dès la jeunesse, vieux garçon. Plus tard, il nous dira dans la Critique de la raison pure que l’esprit impose sa forme aux choses, qu’il introduit l’ordre dans le divers de la sensation, qu’il établit enfin dans nos actions elles-mêmes un ordre supérieur, grâce à la loi morale. Cette idée, que notre intelligence cherche partout la règle et la loi, qu’elle la mettrait là où elle ne serait pas, qu’elle plie les choses à sa forme régulière et invariable, qu’elle les coule, pour ainsi dire, dans son moule tout géométrique, cette idée est si naturelle à Kant qu’elle préside à sa vie, avant de lui inspirer sa doctrine.

M. Wallace à ingénieusement réuni, dans cette première partie, diverses maximes de Kant sur la vie en général, l’amour, les femmes et même l’habillement. Kant n’était pas un lettré ; il ne paraît pas avoir lu Shakespeare, ni connaître Homère autrement que par une traduction, L’auteur de la Critique du jugement n’a jamais visité une galerie de tableaux, ne s’est jamais beaucoup intéressé aux œuvres d’art. Il avait une préférence marquée pour la musique militaire.

Nous ne dirons qu’un mot de la seconde partie, qui est une analyse sommaire, très lucide, de la philosophie kantienne. Dans les deux premiers chapitres (VIII et IX) l’auteur fait l’histoire de la pensée de Kant