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LYON. — le monisme en angleterre

mémoire ; « le pli est pris ». Mais aujourd’hui, qui serait satisfait à si bon compte ? Nous sommes donc poussés à cette conclusion, postulat du professeur Clifford : le sentiment, bien qu’il constitue un élément de conscience actuelle où future, est inconscient par essence. En d’autres termes, toute idée n’est pas nécessairement réflexive, et ce que Pascal a dit du cœur se peut dire de toute l’âme : la pensée aussi possède des raisons qu’elle ne connaît pas.

Aucun des griefs cherchés par M. Gurney à la philosophie de l’esprit-fonds n’est resté debout. Aussi peu légitime nous paraît la querelle intentée par ce critique non plus à cette théorie spéciale, mais, à l’occasion de cette théorie, à toute tentative moniste en général. Dans une page d’une réelle beauté, M. Pollock établissait, à l’encontre des dédains de l’empirisme, qu’affirmer l’unité substantielle des choses sous la dualité phénoménale de l’esprit et du corps était « couper le nœud gordien » que les écoles se sont consumées à dénouer. Comment, s’était-on jusqu’ici demandé vainement, être sûr que ma sensation ressemble à la chose sentie ? Rien de plus simple pour un moniste, Puisque selon lui, l’esprit et le corps sont réellement une même chose. « La méthode qui découvre une connexion entre les séries internes et les séries externes de phénomènes prend dès lors un caractère purement scientifique. » — Or c’est là une proposition que M. Gurney combat sans merci. Nous aurions beau, dit-il, connaître intimement d’une part chaque idée, chaque sentiment de tout esprit, et de l’autre chacune des plus délicates et des plus secrètes opérations nerveuses qui accompagnent ce sentiment ou cette idée, notre science des faits dans lesquels se prolongerait ce parallélisme, allât-elle à l’infini, ne nous ferait pas accomplir un seul pas vers l’intuition d’une unité sous-latente. En ce qui nous concerne nous-mêmes, une pareille recherche, ajoute-t-il, est chimérique. Deux choses sont connues comme distinctes ; il n’est possible de s’assurer ultérieurement qu’elles sont les côtés ou les aspects d’une seule réalité, que si la position de celai qui examine peut être modifiée. Or, pour l’observateur humain se considérant lui-même, rien de tel ; sa position par rapport à ses propres phénomènes ne peut être changée. Il ne peut se voir de dedans et de dehors, comme une courbe qui vous apparaît ou convexe ou concave, selon le point dont vous la regardez.

Cette fois encore, nous nous ferons l’avocat de l’esprit-fonds, et d’autant plus volontiers que ces dernières objections ne portent pas contre telle ou telle forme de l’idéalisme mais ébranlent toute métaphysique en général. Il y est fait en vérité trop aisément fi des résultats auxquels la spéculation peut prétendre. Car supposons le mo-