Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/642

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
638
revue philosophique

à ce sujet, en adressant des questionnaires, dont quatre-vingts lui sont, revenus avec les réponses, trente-six avec des détails circonstanciés. Son but était tout différent du nôtre. Continuant ses recherches sur l’hérédité, il voulait déterminer par une nouvelle méthode la part respective de la nature et de l’éducation ; mais, parmi ses matériaux, plusieurs nous seront d’un grand profit[1].

Il rapporte bon nombre d’anecdotes semblables à celles qui ont cours depuis longtemps : une sœur prenant deux leçons de musique par jour, pour laisser la liberté à sa jumelle ; les perplexités d’un portier de collège qui, lorsque un jumeau vient voir son frère, ne sait plus lequel des deux il doit laisser sortir, etc. D’autres montrent une ressemblance persistante, dans des circonstances peu favorables pour les maintenir. « A… revenait de l’Inde pour rentrer dans sa famille. Le navire arriva avec quelques jours de retard. Son frère jumeau B… était venu pour le recevoir, et leur vieille mère était très nerveuse. Un matin, A… se précipite en disant : « Mère, comment « êtes-vous ? » Elle répondit : « Non, B…, c’est une mauvaise plaisanterie, et vous savez combien je suis inquiète ; » et il fallut quelque temps avant que A. pût bien la convaincre de son identité. » (P. 224.)

Mais ce qui touche à l’organisation mentale nous intéresse davantage. « Un point qui montre l’extrême ressemblance entre certains jumeaux, dit Galton, c’est la similitude dans leurs associations d’idées. Il n’y a pas moins de onze cas sur trente-cinq qui en fournissent des preuves. Ils font les mêmes remarques dans les mêmes circonstances, commencent à chanter la même chanson au même moment, et ainsi de suite : ou bien l’un commence une phrase et l’autre la finit. Un ami, bon observateur, me décrit ainsi l’effet produit sur lui par deux jumeaux de cette espèce qu’il avait rencontrés : « Leurs dents poussèrent à la même époque, ils parlèrent à la même époque et en même temps ; ils disaient les mêmes choses et paraissaient exactement une-seule et même personne. » — Une des plus curieuses anecdotes que j’aie reçue touchant cette similitude d’idées, c’est celle d’un jumeau A. qui, se trouvant par hasard dans une ville d’Écosse, acheta un service de verres à champagne, qui avait attiré son attention, pour faire une surprise à son frère B… À la même époque, B.., étant en Angleterre acheta un service semblable, exactement du même modèle, pour faire une surprise à A… J’ai reçu d’autres anecdotes du même genre concernant ces deux jumeaux. » (Loc. cit. p. 231.)

  1. On les trouvera, sous ce titre History of Twins, dans son nouveau livre Inquiries into human Faculty and its développment (pp. 26-22). London, Macmillan, 1883.