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notes et discussions

substituerai, je veux essayer, est-ce bien le langage du déterminisme ? Tâchons de traduire afin de comprendre. La pensée de l’auteur pourrait, je crois, s’écrire ainsi : « Le motif de mon indépendance possible se substituera nécessairement à tout autre en vertu de sa force intrinsèque ; le désir de la réaliser se produira fatalement, » — Nous le voulons bien, mais sous la réserve expresse que nous ne ferons rien de nous-mêmes pour proposer le motif à la conscience ; car, s’il dépend de nous de laisser un motif dans l’ombre ou de l’évoquer, alors il ne faut plus du out parler de déterminisme[1].

7o M. Fouillée nous semble en sortir complètement dans sa réponse à nos dernières critiques. Nous avons dit que l’homme, persuadé que son action est toujours tout ce qu’elle peut être, n’éprouvera pas le besoin d’une règle : sachant que le jugement se produit en lui d’une manière fatale, il n’aura pas de motif pour se casser la tête en recherchant la vérité. — À ces banales objections on répond avec beaucoup d’apparence : la conviction que les mobiles sont irrésistibles est un motif pour se proposer les meilleurs, et croire que les effets résulteront des causes ne saurait détourner de poser les causes pour obtenir les effets. « Convaincu que l’action résulte des motifs, nous dit-on avec ironie, jugerons-nous superflu de modifier les causes pour modifier les effets ? La délibération exercera une influence nécessaire sur la détermination, donc il faut agir comme si la délibération n’exerçait aucune influence ! Elle est utile, donc elle est inutile ! »

Cette réduction à l’absurde serait triomphante si nous étions vis-à-vis de notre propre esprit dans la position du mécanicien devant sa machine[2], s’il dépendait de nous de poser ou de ne pas poser les causes,

  1. Quatrième λόγος ἀργός. Il résulte d’une illusion presque inévitable, que nous avons cependant essayé de montrer dans la Liberté et le Déterminisme. On suppose un moi distinct des motifs et mobiles, qui demeure les bras croisés, spectateur paresseux, impuissant sur le cours de ses motifs et de ses mobiles. Dans cette hypothèse, l’homme attend que les choses se fassent ou ne se fassent pas. C’est là un faux déterminisme. Le vrai déterminisme n’est pas fait passivement, il se fait lui-même, il se modifie lui-même par lui-même. Le but que nous nous sommes proposé, c’est de rendre le déterminisme aussi large, aussi ouvert, aussi infini, conséquemment aussi flexible et vivant, aussi modifiable, aussi variable et progressif que cela est compatible avec un ordre intelligible, avec une continuité sans hiatus, avec une loi sans exceptions qui est pourtant une loi de vie et non d’inertie. Pour cela, le déterminisme ne doit pas être réduit exclusivement aux lois mécaniques, car ces lois sont une enveloppe trop extérieure ; il ne doit pas être réduit aux lois physiques et physiologiques, qui n’épuisent pas tout ; au moins faut-il y ajouter les lois psychiques, et principalement celles de la pensée ; puis, après avoir ainsi égalé le déterminisme à tout ce que nous pouvons connaître, il est encore permis de se demander si tout est pour nous connaissable. On laisse ainsi subsister l’x problématique au fond des choses. Tout déterminisme qui s’arrête à moitié chemin est lui-même un déterminisme paresseux ; d’autre part, les objections adressées à un déterminisme incomplet sont des objections paresseuses.
  2. Toujours ce nous, ce moi qu’on met à part, comme un mécanicien séparé