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SOURIAU. — les sensations et les perceptions

tion, mais indiquer celui dont en fait nous nous servons. C’est justement au cas où le criterium indiqué eût été trop net qu’on aurait pu suspecter la justesse de notre théorie, car alors on ne se serait plus expliqué les incertitudes réelles de la connaissance. — Entrons dans le détail des faits : nous verrons notre esprit s’attribuer sans hésitation les sensations très simples, affirmer résolument l’objectivité des sensations très complexes, rester indécis devant les sensations moyennes. Notre principe se trouvera donc pleinement confirmé par la facilité avec laquelle il expliquera, non seulement les certitudes, mais encore les hésitations, les doutes et les erreurs de l’esprit.

§ 3. Sensations subjectives. L’étude des sensations subjectives n’a pas toujours occupé dans la philosophie la place qu’elle mérite. On a souvent réuni l’ensemble de ces sensations sous le nom de sens intime, comme si elles avaient autant d’analogie entre elles qu’en ont ensemble les sensations de l’ouïe ou celles de la vue. Les psychologues contemporains leur accordent plus de valeur ; mais ils n’en parlent d’ordinaire qu’incidemment. Il serait à désirer qu’on les analysât à part et que quelqu’un en fit une véritable monographie. Elles sont en effet d’une variété extraordinaire. — Comme exemple de ce genre de sensations, je citerai les sensations de tranchées, de névralgie, de suffocation, de faim, de soif, de somnolence ; celles qui accompagnent la rougeur ou la pâleur ; celles que produit la fatigue etc. Toutes les sensations de ce genre, étant fort peu différenciées, nous paraissent subjectives.

Dans la liste des phénomènes subjectifs, il faut faire entrer aussi les sentiments et les passions. — Parmi ces nouveaux phénomènes, il en est qui ressemblent tant aux sensations, qu’il vaudrait mieux n’en pas faire une classe à part : tels sont le plaisir et la douleur physiques. Ce n’est en effet que par abstraction que l’on peut distinguer d’une sensation le plaisir ou la douleur qu’elle nous donne. Si par exemple un panaris me fait souffrir, la douleur que j’éprouve n’est pas quelque chose qui viendrait s’ajouter à ma sensation ; c’est cette sensation même. À quelque moment que je m’observe, je ne puis trouver en moi de pur plaisir ou de pure douleur : toujours ces sentiments se déterminent et se résolvent dans quelque sensation ordinaire. D’autres sentiments, tels que ceux de la joie et de la tristesse, se distinguent réellement de la sensation, en ce qu’ils renferment, outre l’élément sensible proprement dit, un élément purement idéal. Qu’est-ce par exemple que la tristesse ? Un ensemble de sensations physiques (oppression dans la poitrine, suffocation, serrement de cœur, besoin de pleurer, etc.), unies à de pures idées