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ANALYSES.g. séailles. Le génie dans l’art.

extérieure ne suffit pas à le satisfaire ; il veut en saisir les raisons secrètes, et il cherche ses raisons dans les rapports qui unissent les êtres entre eux, dans les lois générales qui résument et expliquent les faits particuliers. De ces lois générales, il tend vers l’unité plus vaste encore des principes universels et nécessaires qui embrassent tout ce qui est, et il s’efforce de se comprendre lui-même et ses actes dans l’univers harmonieux, qu’il crée pour se créer lui-même. »

L’esprit est à la fois organisateur et organisme : d’ailleurs, ces deux expressions n’ont-elles pas exactement le même sens appliquées l’une et l’autre à un être qui agit inconsciemment ? L’esprit continue la vie, il se comporte comme se comporterait aux yeux des vitalistes, s’il en est encore, cette âme subalterne chargée de maintenir le bon ordre dans nos fonctions physiologiques. Être l’esprit, c’est vivre d’une vie supérieure, mais c’est vivre au sens littéral du mot. Qu’est-ce que la vie en dehors de l’organisation ? D’autre part, écartez toute idée d’organisation : le nom de l’esprit restera peut-être, mais l’esprit se sera dispersé.

Au plus bas degré la vie intellectuelle est la sensation, l’atome d’intelligence, s’il fallait en croire les psychologues, Gardons-nous de les croire. La sensation elle-même est un véritable organisme. Une sensation se décompose en sensations élémentaires. Comment se fait une sensation ? comment s’organise-t-elle ? On l’ignore, mais cela est. La sensation est déjà l’œuvre d’une puissance dont l’unité est la loi. « Comme la cellule vivante déjà concentre une multitude de mouvements, ainsi la sensation est quelque chose de vivant : elle concentre une quantité indéterminée dans une qualité distincte, et elle fait concourir et concorder dans son unité la multitude effrayante des mouvements externes qu’elle coordonne » (p. 8).

II. L’effort vers l’organisation caractérise la vie de l’esprit. Les idées que l’esprit organise, il les tire du monde réel. Mais ce monde n’apaise point les besoins de l’intelligence, « Que faut-il donc pour qu’au monde réel s’oppose le monde de l’art ? L’esprit est un organisme qui tend à organiser tout ce qui pénètre en lui, une harmonie vivante qui tend à comprendre et à résoudre en elles toutes les dissonances. Il suffit que dans l’esprit circulent des éléments dociles, que se crée et s’accumule une sorte de matière spirituelle, qui, tout en représentant le monde, soit l’esprit et ne résiste plus à ses lois. L’art naîtra du libre mouvement de la vie, jouant avec ses propres lois et jouissant d’elle-même » (p. 73).

La sensation se survit à elle-même ; mais ce dernier survivant de la sensation ne doit point sa survivance à l’objet externe. L’objet n’est plus devant nous : nous le voyons encore ; ce que nous voyons de l’objet lorsqu’il a cessé de nous être présent, c’est, pourrait-on dire, quelque chose de matériel, puisque ce quelque chose est la copie d’un objet antérieurement perçu. C’est pourtant, aussi, quelque chose de spirituel. L’esprit continue de voir les objets situés hors du champ de la perception en vertu de son activité propre, Cette matière est donc