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TANNERY. — la physique de parménide

essentiel de la physique des pythagoriens du dehors, et que c’est par eux qu’il l’a connue. Cette dernière supposition paraîtra sans doute la plus vraisemblable.

VI

Les deux éléments nouveaux introduits par Parménide dans la tradition ionienne et sur le caractère pythagorique desquels il me reste à insister, sont, d’une part les personnifications mythologiques de l’Anankê et de sa descendance, d’autre côté la théorie relative à la lumière de l’atmosphère.

Ce n’est pas seulement dans Stobée, mais aussi dans des vers qui nous restent de Parménide, que nous voyons qu’il plaçait au centre du monde « la divinité qui gouverne toutes choses. Elle préside en tous lieux à l’union des sexes et aux douloureux enfantements. C’est elle qui pousse le mâle vers la femelle et aussi bien la femelle vers le mâle. Elle a conçu l’Amour, le premier de tous les dieux[1]. »

Les dénominations de Δίκη et de Κλῃδοῦχος indiquées par Stobée pour cette divinité semblent provenir d’une" confusion occasionnée par le vers 14 du prologue. Quant au nom d’Ἀνάγκη, il paraît garanti par Platon (Banquet, 195, c), dont le langage confirme aussi le passage où Cicéron (Nat. deor.) fait naître après l’Amour, la Guerre et la Discorde. Nous voilà bien près de la Φιλότης ; et du Νεῖκος d’Empédocle.

Ces personnifications mythiques sont absolument spéciales à l’école pythagorienne, qui en a abusé jusqu’à attribuer aux nombres de la décade des noms de divinités. L’origine de cette coutume paraît remonter au maître, quoique la plupart des fantaisies auxquelles elle a donné lieu soient évidemment très postérieures. Du reste, la plus grande liberté semble avoir été constamment laissée à ces fantaisies ; il importe donc peu de rechercher si Parménide a ou non usé de la sienne[2], s’il s’est inspiré ou non d’Hésiode ; le point

  1. V. 128-132. On peut se demander si le mâle et la femelle désignent ici symboliquement la lumière et les ténèbres. Ed. Zeiler l’admet ; mais, si Parménide avait réduit systématiquement l’opposition mâle-femelle à son dualisme fondamental, il faudrait ici plus haut, d’après ce que nous avons vu, que le mâle désigne l’élément sombre, la femelle l’élément lumineux, et cela paraît bien douteux.
  2. D’après la tradition de Theologumena, l’Anankê est la décade (aussi κλῃδοῦχος) ; elle limite la sphère de l’univers, mêle et sépare toutes choses, produit le mouvement et entretient la génération continue des êtres. C’est si voisin de Parménide, qu’on doit se demander si cette donnée ne représente pas simplement son opinion, à part l’identification avec la décade, symbole de l’univers.