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lechalas. — l’œuvre scientifique de malebranche

que les corps jouissent de la propriété d’éteindre certaines vibrations lumineuses ou de se laisser traverser par elles et de réfléchir les autres. C’est ce qu’il exprime dans les termes suivants : « Il n’y a point de rayon blanc qui soit simple. Tout rayon très blanc est composé de tous les simples, rouge, jaune, bleu, etc., qui tous font des vibrations et des réfractions différentes ; et toutes les différentes couleurs dont les objets paraissent couverts ne viennent « que des divers mélanges des rayons simples, ou transmis, ou réfléchis des petites parties transparentes des corps opaques[1]. »

Il est inutile d’insister sur la haute valeur scientifique du travail de Malebranche. Non seulement, en effet, il a dit de la façon la plus expresse, huit ans avant la naissance d’Euler qui eut lieu en 1707, que les vibrations lumineuses simples ont une durée constante pour chaque couleur, durée variant en même temps que la couleur ; mais en outre il a discuté avec assez de bonheur les deux questions suivantes : comment varient les couleurs suivant l’ordre de diminution des nombres de vibrations ? quelle est la cause de la coloration des corps ?

On s’étonnera peut-être que des études si intéressantes soient tombées dans l’oubli, et l’on se demandera si c’est bien d’un oubli qu’il s’agit, ou si plutôt le mémoire de Malebranche n’a pas passé inaperçu. En fait, cette dernière hypothèse serait de tout point inexacte. Nous voyons en effet Leibniz prendre un vif intérêt aux études de Malebranche sur les couleurs : « Je serai curieux, écrit-il au P, Lelong en 1707, d’apprendre ce que le R. P. Malebranche aura observé sur les couleurs, » et, l’année suivante, il revient encore sur ce sujet. Après la mort du grand oratorien, sa théorie continue à avoir rang dans la science, bien que la conception newtonnienne de l’émission séduise tous les esprits. C’est ainsi que Fontenelle donne, dans son Éloge de Malebranche, un résumé court mais précis de sa théorie, et que M. Trabaud, maître ès-arts, publiant en 1753 un ouvrage assez étendu sur le Mouvement de la lumière, dans lequel il se range d’ailleurs parmi les partisans de l’émission, expose d’une façon complète la théorie de Malebranche sur les couleurs, telle du moins qu’elle résulte de son seul mémoire de 1699[2].

  1. Éclaircissements, p. 360. Notons ici que Malebranche a très bien vu ce que devient la portion éteinte de la lumière : « Cela excite seulement peu à peu de la chaleur, dit-il, car les corps chauds ne sont tels que par l’ébranlement des petites parties dont ils sont composés. Aussi voit-on que les corps noirs exposés au soleil, s’échauffent beaucoup plus que les corps blancs qui réfléchissent les rayons, et que les transparents qui les transmettent presque tous. »
  2. M. Francisque Bouillier, dans sa belle Histoire de la philosophie cartésienne,