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delbœuf. — origine de la vie et de la mort

Malgré qu’on en ait, il faut un point d’appui, une hypothèse première ; et la mission de la science est de rechercher uniquement la loi de l’évolution, c’est-à-dire de la transformation de la puissance en acte, du potentiel en réel. C’est pourquoi, si nous ne voulons pas nous lancer dans de ténébreux mystères ou nous payer de mots, si nous voulons continuer à fouler le sol non fallacieux de l’expérience, force nous est bien de ne pas faire de la mort absolue le terme réel de la vie.

La vie doit se concevoir comme une force transitive à la façon du mouvement, c’est-à-dire pouvant passer d’un corps à un autre, et par suite susceptible de se concentrer dans certains composés. C’est ainsi que le magnétisme d’un aimant se communique temporairement au fer doux, d’une manière permanente à l’acier, et que le fer doux et l’acier aimantés transmettent de même l’aimantation aux barreaux qui les touchent.

C’est par là que la matière peut revêtir un aspect plus ou moins vivant ou plus ou moins inerte. De même que l’eau s’alcoolise quand elle est combinée à un hydrocarbure, de même elle est vivante dans le protoplasme. Ainsi encore, l’albumine se montre sous différents états, suivant qu’on l’examine dans les végétaux, dans les muscles ou dans le cerveau. En entrant dans la communauté, elle s’engage pour ainsi dire à en observer les statuts et en prend lé signe distinctif.

Si cette manière d’entendre les choses est exacte, la vie et la mort, en tant qu’il s’agit de l’univers considéré dans ses transformations de toutes sortes, sont simplement des mots indiquant, non une opposition de nature, mais une opposition d’apparence seulement. Dans ce sens, ils éveillent l’idée d’une différence non essentielle, mais purement phénoménale.

C’est là d’ailleurs ce que j’ai donné à entendre dans le précédent travail. Nous rapportons, ai-je dit, à la nature brute les combinaisons relativement stables et à la nature vivante les composés essentiellement instables pour lesquels le changement est une loi. Bien loin qu’entre eux il y ait un abîme infranchissable, il n’y a pas même une ligne de démarcation tranchée. Ce que nous considérons comme non vivant vit, mais d’une vie peu apparente, et voilà pourquoi il peut réengendrer le vivant. C’est ainsi que dans ces derniers temps on est parvenu à fabriquer de toutes pièces des substances qu’on regardait autrefois comme étant produites exclusivement par la nature vivante, et nul ne saurait à présent délimiter l’avenir réservé à la chimie synthétique. Nous voyons d’ailleurs tous les jours non seulement la matière vivante passer à l’état de matière inerte, mais encore