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M. Beaussire recherche les conditions auxquelles doit satisfaire le nouvel enseignement et détermine le rôle de « la morale laïque » dans l’éducation nationale. Un respect absolu est dû aux dogmes des Églises constituées. Toutefois, si celui qui professe au nom de l’État est obligé de respecter la divinité du Christ, il n’est pas obligé de respecter les décisions du Syllabus. — Les doctrines spiritualistes sont la seule base possible pour une éducation commune dans l’état actuel de la société. L’État doit prendre parti pour la morale du devoir et pour les principes métaphysiques qu’elle suppose, pour les trois postulats : la liberté, l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme. Faut-il voir là une atteinte à la libre pensée dont auraient droit de se plaindre les adversaires du spiritualisme, athées, matérialistes ou positivistes ? Non, pourvu qu’on leur accorde la pleine liberté de l’enseignement en dehors des écoles officielles. Les professeurs de l’État doivent pouvoir se prononcer sur les questions philosophiques, comme sur les questions d’art, de littérature ou de science. Mais pourquoi la morale laïque ne serait-elle pas la morale du positivisme ? C’est que l’instruction de la jeunesse ne doit avoir pour objet que la science faite ; et qu’une morale étrangère à tout principe d’ordre métaphysique n’a pu encore se constituer. L’école de la Morale indépendante a fait de la métaphysique sans le savoir. Quant à l’école utilitaire, « qui voudrait aujourd’hui des doctrines, vieilles de cent ans à peine, du livre de l’Esprit, et du Catéchisme de Saint-Lambert ? Que reste-t-il de Bentham après Stuart Mill, et de Stuart Mill après Herbert Spencer ? Que reste-t-il enfin d’Herbert Spencer lui-même après les critiques victorieuses dont sa Morale évolutionniste a été l’objet de la part des esprits les plus indépendants, tels que M. Renouvier et M. Fouillée ? » Ce serait d’ailleurs une entreprise impossible que de bannir l’idée religieuse de ! éducation ; « il faudrait expurger ou exclure non seulement presque tous les livres destinés spécialement à l’enseignement moral, mais une foule d’ouvrages de poésie, de littérature romanesque, d’histoire et même de science, où se retrouvent ces croyances suspectes et où elles tiennent souvent la première place. »

L’incompétence de la société laïque dans le choix d’une doctrine philosophique est soutenue aussi par les défenseurs exclusifs de l’enseignement théologique. Mais la raison ne doit abdiquer aucun de ses principes, ne retrancher rien de son domaine, En fait, il faut se résigner à chasser de l’école la morale sous toutes ses formes, si l’on veut ôter tout motif ou tout prétexte de plainte aux croyants comme aux incrédules.

M. Beaussire rend hommage aux livres de morale laïque qui ont été publiés en France par les membres de l’enseignement public ; ils ont su, dit-il, concilier la fidélité à la morale du devoir et aux principes élevés qu’elle implique nécessairement avec cette large et sincère liberté de la pensée qui est le fond de l’esprit philosophique. Plusieurs de ces ouvrages ont été l’objet, au nom de l’intérêt religieux, de censures passionnées, de condamnations même « que rien ne justifie au