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hypothétique, l’instabilité absolue, à un dernier terme hypothétique, l’équilibre absolu, et que la loi générale de son évolution soit la transformation incessante du potentiel en réel, de l’indépendant en dépendant, du particularisme en fédération, il n’y a rien là, ai-je déjà dit, de bien difficile à saisir. Le terme final est une unité absolue dont les moindres parties vibrent en conformité avec le tout, où il n’y a plus aucune lutte, aucun choc, aucun effort : c’est véritablement l’univers (uni-versus), comme si les anciens qui ont créé ce mot avaient pressenti les découvertes de la postérité.

Mais la difficulté est de comprendre le détail de la loi d’évolution, Que voyons-nous en effet ? Sur tous les points de l’étendue, il se forme de petites unités en vertu de la loi de la transformation du potentiel en réel ; seulement ces unités individuelles ont une existence temporaire. Elles commencent on ne sait pourquoi ni comment, puis groupent autour d’elles des molécules matérielles qui, par cela même qu’elles deviennent dépendantes, acquièrent des propriétés spécifiques. Le composé va ainsi s’accroissant par un procédé toujours le même. On croirait que cela ne doive pas finir. Pas du tout. Il s’arrête dans cette voie ; puis au travail de composition succède le travail de la décomposition ; les molécules soumises se révoltent, recouvrent leur indépendance qu’elles avaient pour un temps sacrifiée, et l’individu a cessé d’être. Dans l’intervalle cependant, il a projeté hors de lui non pas un, mais des embryons susceptibles d’avoir la même existence, en repassant par les mêmes phases de la jeunesse et de la vieillesse. De sorte que, si l’espèce se développait sans obstacle, elle finirait par envahir et absorber tout.

De ces trois termes, naissance, génération et mort, c’est le dernier, dis-je, qui explique la nécessité des deux autres. Ainsi l’univers est né peut-être ; il vit certainement et n’engendre pas. Nous concevons encore l’espèce comme vivante, sans que cette vie implique dans notre pensée sa disparition et son remplacement par une autre espèce issue d’elle. Mais, étant admis que la vie est la loi universelle, et que le vivant meurt individuellement, il faut bien qu’il y ait quelque part une puissance génératrice, qui mette le vivant au monde.

On est trop tenté de diviser le temps en deux moitiés symétriques, le passé et l’avenir, séparées par le présent. On oublie que ces deux termes sont opposés et irréconciliables, l’un étant ce qui est, l’autre ce qui n’est pas, et qu’il n’y à entre eux aucun point de contact si ce n’est que l’avenir devient le passé, et que le passé fut autrefois l’avenir. Cette confusion fait que nous accordons à l’un et à l’autre les mêmes attributs ; et comme nous concevons qu’un état actuel puisse