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jamais engendré aucun être, tandis qu’il n’en est pas de même de la chaleur animale et de celle du soleil que le philosophe met ici sur la même ligne (Gen., II, 37). Il faudra attendre jusqu’à Lavoisier pour voir se modifier ces antiques idées sur la chaleur des êtres vivants.

La zoologie tient compte aujourd’hui des animaux à sang chaud et à sang froid : cette distinction est toute nouvelle dans la science, elle n’a d’ailleurs pas probablement l’importance que lui attribuent les classifications modernes[1]. En tous cas, les anciens ne l’ont point connue. On ne doit pas oublier qu’ils n’avaient aucun instrument répondant à nos thermomètres, aucun moyen, par conséquent, d’apprécier les différences de température quand elles ne sont pas considérables. Qu’on touche avec la main, par les jours d’été ou d’hiver, la toison d’un mouton, les plumes d’un gros Oiseau ou la peau écailleuse d’un Reptile, nous n’y ferions pas, si nous n’étions prévenus, une grande différence, les trouvant à peu près également chauds ou également froids. Cependant Aristote saisissait déjà une partie de la vérité : « Tous les animaux qui ont des poumons, dit-il, sont plus chauds que ceux qui n’en ont pas, et les plus chauds parmi ceux qui ont un poumon, sont ceux où il n’est pas membraneux, nerveux et pauvres en sang, comme celui des Reptiles et des Serpents » (Gen., II, 8). Il ne faut pas oublier, d’autre part, que la seule présence d’écailles sur le corps des Reptiles suffisait à les faire regarder comme des animaux froids, parce que les écailles sont solides et par conséquent de nature terreuse, c’est-à-dire froide. Ce langage, qui remonte à Empédocle et à la doctrine des quatre éléments, se perpétuera dans les sciences. Pour Galien, les os sont des organes froids à cause de leur dureté, du peu de sang qui y coule ; le poumon est l’organe chaud par excellence parce qu’il est mou et plein de sang. Ces termes « chaud » et « froid » ont eu, dans le passé, une signification beaucoup plus étendue que celle que nous leur donnons, même en dehors du langage figuré. Quand Aristote enseigne que le côté droit est plus chaud que le côté gauche, il entend par là quelque chose comme plus vivant, plus actif, plus fort. De même l’homme est plus chaud que la femme : ceci ne veut nul-

  1. Un certain nombre de Mammifères s’engourdissent et se refroidissent dans une certaine mesure pendant l’hiver. La « température constante » a si peu de retentissement sur l’organisme que si le monde entier des oiseaux avait péri au cours des âges et ne nous était connu que par des débris fossiles, on n’hésiterait pas à déclarer que les Oiseaux étaient des animaux à température variable comme les Reptiles avec lesquels ils ont de si grands rapports. Il est impossible aujourd’hui d’établir si l’Archéopteryx était un animal à sang chaud ou à température variable.